mercredi 18 mai 2022

 GEOSTRATEGIE/ ARMES NUCLEAIRES : LE FAIBLE ET 

LE FORT

La décennie 2010 a vu la combinaison de quatre facteurs conduisant à réinstaller le conflit entre États dotés de l’arme nucléaire au sens du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires ( TNP ), soit de façon bilatéral, États-Unis, Russie, États-Unis Chine, soit par l’entremise de l’OTAN États-Unis, France, Royaume-Unis et Russie. Lee principaux enjeux nucléaires stratégiques relèvent de politiques de puissances au plan mondial. Il ne s’agit pas d’un grand retour des grandes puissances nucléaires sur la scène internationale, mais d’une exacerbation de leur caractère propre.



La concomitante des programmes de modernisation ou de mise à niveau des arsenaux nucléaires dans les cinq États dotés, l’arrivée à maturité de nombreux programme de recherche et de développement centré sur les systèmes stratégiques et défensifs, tels que les vecteurs hypervéloces à double capacité, notamment en Chine et en Russie ou les capacités de frappe conventionnelle de précision à longue portée; l’émergence stratégique de la Chine qui se traduira par une probable augmentation et diversification considérables de son arsenal nucléaire au cours de la décennie 2020. L’hypervélocité fournit une illustration utile de la complexité d’un facteur technologique récent: Les trois éléments distincts de le technologie hypersonique sont la vitesse, la portée et la précision. La trajectoire basse que l’engin suit dans l’atmosphère lui permet d’atteindre sa cible plus rapidement. En raison de la courbature de la terre, cette trajectoire empêche la détection précoce. Associée à leur vitesse, la capacité des missiles hypersoniques à manœuvrer en vol leur permet de mieux pénétrer les systèmes de défens antimissiles. En outre, la cible d’un véhicule hypersonique peut être modifiée en plein vol, ce qui ajouté à la vitesse, rend la détection précoce difficile, voire impossible. Ensuite, les missiles de croisière hypersoniques pourraient avoir une portée équivalente à certains missiles balanstiques stratégiques tout en offrant une capacité d’emport théoriquement supérieure. Enfin, la précision des armes pourrait être supérieure aux systèmes balistiques. Pour autant, si la technologie hypersonique représente à évidence une évolution, elle n’introduit pas de révolution dans la doctrine de dissuasion. De nos jours, la vélocité des armes hypersoniques reste bien en-deçà de celle des missiles balistiques stratégique sol-sol et mer-sol ( ICBM et SLBM ). L’intérêt de la vélocité pour la dissuasion tient à ce qu’elle réduit le temps de réaction et de riposte d’un adversaire. Mais le temps de réaction que permettent des satellites d’alerte à l’attaque par un engin hypersonique ne serait pas inférieur au temps de réaction face à la plupart des attaques perpétrées à l’aide de missiles balistiques. Il s’agit seulement que de quelques minutes de différence, ce qui modifie pas substantiellement les données du problème stratégique pour un décideur. Les systèmes hypersoniques ne révolutionnent pas les systèmes stratégiques de portée continentale. En terme de précision, le gain réel que fournit un système hypersonique est avéré pour une utilisation conventionnelle, dans un combat aéronaval en particulier, mais beaucoup moins pour une utilisation nucléaire classique avec un objectif de destruction très élevé, pour lequel il n’est pas besoin d’obtenir une grande précision de ciblage. Cela étant posé, L'hypervélocité est sans doute susceptible de modifier un équilibre dissuasif donné, pour plusieurs raisons: d’abord, toutes les puissances nucléaires se sont lancées dans le développement de systèmes hypervéloces sans utilisation opérationnelle claire ou avérée. Par conséquent, le manque de compréhension des intentions des États qui se dotent de tels systèmes porte le risque de déstabiliser un statu quo stratégique. Ensuite, il s’agit des systèmes le plus souvent duaux. La nature nucléaire ou conventionnelle de la charge qu’ils emportent risque donc de ne pas être discernée, ce qui est un facteur d’instabilité à divers titres, en particulier en temps de crise. Il s’agit, enfin, d’incitation à la course aux armements: La recherche en L'hypervélocité est un marqueur de puissance, un champ de développement militaire très discriminant, qui classe les États les uns par rapport aux autres, à la manière de ce que furent les systèmes balistiques en leur temps.

MENACES STRATÉGIQUE ET CRISES REGIONALES


La question de savoir si les armes nucléaires sont un facteur de stabilisation ou de déstabilisation régionale a toujours divisé les experts et continuera de le faire. En tout état de cause, il est un fait que la facteur nucléaire est présent dans un moins trois situations crisogénes régionales depuis le début du siècle: La première au nord-est asiatique autour des programmes nucléaires et balistique nord- coréens, la deuxième au Moyen-Orient autour des programmes balistiques et nucléaires Iraniens, le troisième au sud du continent européen, autour du théâtre Ukrainien. Sans oublier, le sous-continent Indien qui vit au rythme des crises, dont celle de 2019 avec le Pakistan. Enfin, la conflictualité sino-américaine dans la région Indo-pacifique a récemment pris un tour nucléaire inattendu avec l’annonce, au mois de septembre 2021, d’un partenariat stratégique trilatéral américano-britannique-australien baptisé ( AUKUS ), pour conter les velléités chinoise d’expansion, singulièrement maritimes. Centré sur la fourniture par les États-Unis à l’Australie de sous-marins à propulsion nucléaire, ce que le TNP n’interdit pas, ce partenariat pourrait voir l’Australie, élève modèle du régime de non-prolifération nucléaire, bientôt dotée de sous-marins dont le combustible sera à base d’uranium hautement enrichi ( UHE ), une technologie américaine. Or, l’AIEA ne pouvant pas exercer ses activités de vérification sur les réacteurs navals, les accords de garanties généralisées, conclus par l’Agence avec les États parties au TNP non dotés de l’arme nucléaire, autorisant ces États à retirer du contrôle les matières qu’ils utilisent pour leur réacteurs navales militaires. Il ne s’agit pas de suspecter l’Australie d’utiliser AUKUS pour développer un programme militaire sous couvert d’un partenariat respectable. En revanche, le problème réside dans le précédent qui pourrait être créé et utilisé à l’avenir par d’autres puissances désireuse de développer un programme d’arme nucléaire sous couvert d’un programme de propulsion, mettant à mal la capacité de l’AIEA à garantir que cela n’est pas correcte.

LA SECURITE INTERNATIONALE: ENTRE MENACE ET DÉCLIN

Organisé autour du pivot qu’est le TNP depuis plus de cinquante ans ( 70 ans ), l’ordre nucléaire mondial n’est pas secoué outre mesure par la réinstallation d’un désordre qui se traduit par le retour de l’incertitude, la concurrence des perceptions, une information lacunaire, le manque de prévisibilité, et, in fine, l’accroissement des dangers. L’on peut s’en réjouir en arguant que le régime de sécurité internationale est robuste, ou bien s’en alarmer au motif que ce régime tient temporairement de façon paradoxal parce qu’il n’est plus en phase avec les réalités stratégiques du monde contemporain. Il n’est pas possible de mesurer précisément l’impact de l’environnement stratégique actuel sur la mise en œuvre du TNP. Néanmoins, il probable que le conflit Ukrainien- Russie rende cette tenue impossible. Il y a objectivement peu d’éléments tangibles permettant de prévoir que les piliers consacrés au désarmement et à la non-prolifération donneront lieu à un examen encourageant. L’entrée en vigueur, en 2021, du traité sur l’interdiction des armes nucléaires ( TIAN ) est venue polarisé encore plus un régime marqué par l’exaspération d’un nombre majoritaire d’États vis-à-vis du manque de progrès réalisés en matière de désarmement. Les crise régionales nord-coréenne et iranienne ont à nouveau sapé l’autorité de l’AIEA, comme ce fut déjà le cas au début des années 1990 après les révélations irakiennes, non par manque de volonté mais par manque de moyens à sa disposition pour exercer ses missions de contrôle. De son coté, l’Organisation du traité pour l’interdiction complète des essais nucléaire ( OTICE ) continue de mettre en place le système international de surveillance d’un traité qui n’est toujours pas en vigueur, plus de 25 ans après l’ouverture de sa signature aux États-Unis en 1996. Le blocage structurel de la Conférence du désarmement à Genève continue de reporter le lancement de négociations d’un traité interdisant la production de matières fissiles pour les armes nucléaires ( Cut-off Treaty ). Non seulement l’approche graduelle du désarmement nucléaire, défendue par les cinq États dotés de l’arme nucléaire, s’éloigne année après année des conditions réelles de sa mise en œuvre, mais encore les grandes structures multilatérales destinées à rendre opérationnel le régime de la sécurité international en matière nucléaire ne sont pas à même de fonctionner correctement sur le terrain. Schématiquement, les vingt premières années du siècle ont vu lentement et implacablement ce régime s’effacer sans exploser. Il est désormais impossible d’affirmer qu’il s’agit d’un ensemble d’instruments et de mécanismes propres à garantir la sécurité nucléaire mondiale entendue au sens large. Le régime de non-prolifération et de désarmement s’est délité en conservant l’ensemble de ses structures du monde réel. Elles resteront cependant utiles sur le plan diplomatique dans les années à venir, si des solutions sont apportées par ailleurs dans l’ordre stratégique des relations entre États. En d’autres termes, ce que les Anglo-Saxons nomment ( arms control ) est une notion complexe, voire ambivalente, que la traduction francise réduit en la cantonnant à une maîtrise des armements» stratégique dans une relation le plus souvent bilatérale. Il s’agit en fait de l’ensemble des moyens mis en œuvre pour maîtriser le volume de la violence entre États. A ce titre, l’arms control prit au cours de la guerre froide une ampleur aboutissant à la décennie dorée des années 1990, durant laquelle les initiatives unilatérales, bilatérales et multilatérales se conjuguèrent pour permettre des interdictions de classes d’armements, des diminutions dans les arsenaux, ou encore la signature de traité d’interdiction complète des essais nucléaires. La relance du dialogue bilatéral stratégique américano-russe depuis l’arrivée de Joe Biden semblait en fournir une première illustration jusqu’au déclenchement des hostilités par la Russie contre l’Ukraine en 2022. Les systèmes d’armes de précision conventionnels ou à double capacité à longue portée, ainsi que les armes hypersoniques, et les armes nucléaires tactiques devaient faire partie des discussions. La guerre russe contre l’Ukraine étouffe bien entendu toute perspective de reprise de dialogue stratégique qui rentre à nouveau dans une période très sombre. En attendant, tout juste peut-il être rappelé que les deux États continuent de respecter leurs obligations au titre de New START, soit 1550 têtes nucléaires déployées pour 700 lanceurs stratégiques déployés pour chacun d’entre eux. Les prémisses d’un dialogue stratégique américano-chinois posent les bases d’une nouvelle relation stratégique bilatérale également fondée sur le pragmatisme. Jusqu’à présent, la Chine a refusé le principe de négociation trilatérale avec les États-Unis et la Russie en matière d’arms control, appelé de ses vœux par l’administration Trump. Sur le plan plurilatéral du P5 ( le groupe des cinq États dotés de l’arme nucléaire au sens du TNP ), la concentration récente des débats sur l’ambition de réduction de risques stratégiques ( RRS) témoigne à nouveau d’un recentrage de la volontés sur des solutions opératoires à court terme. Alors que la présidence francise du P5 se terminait au début du mois de janvier 2022, une déclaration conjointe destinée à prévenir la guerre nucléaire et éviter les courses aux armements indiquant en particulier considérer qu’il est de leur responsabilité première d’éviter une guerre entre États dotés d’armes nucléaires et de réduire les risques stratégiques. Naturellement, cette déclaration commune semble être après le 24 février 2022 sinon cynique, au moins cocasse. Les plus optimistes estimeront que l’un des enjeux du conflit en Ukraine est précisément de parvenir à cotonner le conflit sous le seuil nucléaire : c’est bien l’objet de l’approche RRS sur laquelle se concentre le P5 depuis quelques années.


Nous sommes entrés dans le troisième âge nucléaire. Le premier âge correspondait à celui de la dissuasion entre grandes puissances; le deuxième à la phase de désarmement ayant suivi la guerre froide. Cette dernière est aujourd’hui révolue en raison d’un double dynamique générale, nouvel avatar de l’opposition séculaire entre l’épée et le bouclier. En effet, la modernisation des arsenaux se traduit par une amélioration des performances en termes de vitesse des vecteurs et de furtivité des lanceurs . A l’horizon 2030, les États-Unis, la Chine et la Russie devraient disposer de systèmes complets.

MOHAMMED CHÉRIF BOUHOUYA




NB: Forces nucléaires mondiales

Source : Annuaire SIPRI. Les ogives déployées font référence aux ogives placées sur des missiles ou situées sur des basses avec des forces opérationnelles. Les autres ogives sont les ogives stockées ou de réserve et les ogives retirées en attente de démantèlement.




pays



USA / Ogives déployées /                 autres ogives /                 Total 2020

              1800                                        3750                                5800




Russie /  1625                                    4630                                    6375




Royaume-Unis/ 120                           105                                  215




France /      280                                  10                                    210




Chine /                                             350                                  320




Inde /                                           156                                     150




Pakistan /                                  165                                       160




Israël /                                      90                                         90




Corée du Nord /                  40-50                                   30-40




Total /  3825                       9255                                      13400




Les armes hypersoniques sont cratérisées par leur capacité à se déplacer et à maintenir des vitesses supérieures à Mach 5, soit cinq fois la vitesse du son. La Russie a annoncé en 2020 avoir mis en service son premier régiment de missiles hypersoniques Avangard, capables de porter aussi bien des charges conventionnelles que nucléaires à une vitesse de Match 20.




Pékin a testé pour la première fois son véhicule planeur hypersonique WU-14 en janvier 2014 et, en novembre 2017, a effectué deux essais réussi de son véhicule lourd DF-17, capable d’atteindre la vitesse de Mach 10, avec une portée de 1000 à 1500 km.









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