vendredi 22 juin 2018

GÉOÉCONOMIQUE/ FRANCE/ ALGÉRIE/ LA GRANDE BATAILLE DE L'AUTOMOBILE


En 2012, le constructeur automobile Renault signait un protocole d’accord avec le gouvernement algérien pour l’implantation d’un site de production dans la wilaya d’Oran.  Cette étape annonçait le lancement d’une politique volontariste visant à relancer un secteur perçu comme stratégique. Cette prise de position s’inscrivait dans la lignée des gouvernements précédents, lesquels se sont efforcés de réorienter l’économie national depuis la fin des années 1980.





Entre 2012 et 2016, le nombre de véhicule individuels neufs importés chaque année en Algérie est passé de 606 000 à 99 374 à la faveur d’une réduction drastique des licences accordées aux concessionnaires locaux.  En 2017, le gouvernement algérien a fixé le quota d’importation entre 40 000 et 50 000, et aucune licence  n’a été donné pour 2018. Entre le premier semestre 2016 et le premier semestre 2017, la valeur totale des voitures a chuté de 72%. Une telle réduction de l’offre ne va pas sans générer des stratégies d’ajustement du coté des demandeurs. Le choix de maintenir le marché automobile algérien sous tension s’explique par une volonté politique, obéissant aux ordres de la présidence, les autorités s’efforcent de mettre en œuvre un ambitieux projet de développement économique fondé sur la réindustrialisation du pays. Les contraintes infligées à l’import vont de pair avec une série de mesures incitant les constructeurs étrangers à implanter leurs usines en Algérie. Cet effort répond à des impératifs bien connus tels que la réduction des déficits et du chômage (12% en 2017, selon le FMI.) Dans la même foulée, l’Algérie a du mal à s’insérer dans un système de concurrence mondialisée, marqué par la dépendance au capital transnational. Ainsi, les débats publics et les tensions apparus au cours de la dernière décennie, témoignent de la difficulté à trouver un équilibre entre enjeux politiques et intérêts économique, sans oublier le poids d’une oligarchie mafieuse qui gangrène le pays.

INTÉRÊTS PRIVES ET CAPITALISME DE CONNIVENCE


Les constructeurs automobiles ayant implanté leurs usines en Algérie ont ainsi bénéficié d’exonérations diverses et d’un tarif douanier préférentiel à 5%.  Pour les sous-traitants intervenant dans la chaîne de production, ils ont obtenu une exemption des droits de douane et de TVA durant cinq ans. Ainsi l’accord avec Renault lui garantissait une situation de quasi-monopole, avant que le marché national ne soit finalement divisé avec l’implantation de Hyundai  et de Volkswagen. Dans ce cadre, le concours de partenaires étrangers est capital afin de permettre un transfert de compétences, qu’il s’agisse de gouvernements Européens ou de constructeurs automobiles. Ainsi, l’accord récent conclu entre Peugeot et l’Algérie, implique que l’entreprise Française participe à la formation de 10 000 stagiaires chaque année afin de pourvoir aux besoins du secteur. En échange de son assistance matérielle et humaine, Peugeot se voit garantir un accès au marché algérien. D’un point de vue économique, la nécessité de dépasser les divisions entre secteurs public et privé, et de mettre en place un dialogue social afin d’allier efficacité économique et justice sociale, ils restent cependant des contradictions à surmonter vu une grappe de l’ombre qui tient le monopole avec la bénédiction de la présidence. Dans le même temps, le dépassement de la division privé-public a été au principe même de ce capitalisme de connivence enrichi par les monopoles qui a prospéré en Algérie depuis les années 1990. Dans ce contexte, la reconfiguration du marché automobile afin d’attirer des capitaux étrangers a ouvert la voie à une compétition entre capitalistes locaux. Du fait de la règle du 51-49% limitant les investissements étrangers, ceux-ci se placent en effet en partenaire incontournables des constructeurs souhaitant implanter une usine en Algérie. C’est ainsi que l’homme d’affaires (Mahiéddine Tahkout), très proche du premier ministre Ahmed Ouyahia, a pu s’associer à Hyundai pour installer l’usine de Tiaret. Il a aussi bénéficie d’une convention bancaire généreuse accordée par la Banque nationale d’Algérie afin d’offrir des crédits avantageux à ses futurs clients. Ses intérêts privés de ces affairistes est dépendant de la protection politique du sérail dont ils disposent.  En mars 2017, une série de clichés publiés par les lanceurs d’alerte ont ainsi révélé que le groupe Tahkout se contentait d’ajouter des roues aux véhicules Hyundai déjà entièrement assemblés. Sur fond d’accusations de détournement d’aides publiques et de photographies montrant une usine vide, le gouvernement a dépêché une commission d’enquête sur place. Bien que l’homme d’affaires ait été blanchi au nom du respect du cahier de charge, ce sont les conditions mêmes du partenariat entre autorités algériennes  et affairistes locaux qui interpellent.  La bataille  pour le développement offre la possibilité de dégager des énormes bénéfices sans prise de risque, mais le tout reste financé par les deniers publics. Dans ce pays, le capitalisme de connivence détourne les politiques volontaristes de leur but initial. En l’état, ce ne sont pas les hommes d’affaires qui paient le prix de ces malversations mafieuses, mais le pauvre peuple pris en otage par le pouvoir.  Au cours de l’année coulée, deux ministres de l’Industrie et des Mines ont été limogés. Après Bouchouareb (2014-2017), accusé d’avoir favorisé le développement d’un systéme d’importations déguisées, c’est Mahdjoub Bedda (out 2017) qui a pris la porte, après avoir critiqué les constructeurs automobiles et les choix de son prédécesseur. Afin de renforcer la production du pays, le pouvoir algérien n’a d’autres choix que de négocier avec une multitude d’acteurs nationaux. Pour autant, cette réalité de la gouvernance contemporaine n’empêche pas la persistance d’un dirigisme étatique, d’une volonté d’organisation à la fois la société et l’économie au nom d’impératifs politiques.  En clair, l’essor de l’industrie automobile et, plus largement, la bataille pour le développement en Algérie restant en premier lieu des questions de souveraineté. Au-delà de l’idée d’échec, cette impatience du sentiment d’urgence qui imprègne la nouvelle bataille. Depuis 2013, la diminution des réserves de devises fait figure de décompte annonçant une déflagration sociale semblable à celle de 1988. 





C’est dans ce contexte, que le pouvoir algérien a mis en œuvre sa politique ambitieuse de limitation des importations et d’attraction des constructeurs. Les attentes que nourrissent des discours officiels sont toutefois en décalage avec les réalités de l’industrie automobile.  Les autorités algériennes, qui appelle de ses vœux une insertion dans le système de compétition globalisé, réactive dans le même temps un discours souverainiste blâmant le capital international pour ses mensonges et ses institutions mercantiles, en somme la pays est dans un impasse politique dangereux et les élections de 2019, sont déjà en rouge.

MOHAMMED CHÉRIF BOUHOUYA

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire