mardi 16 mai 2023

GÉOPOLITIQUE DES DROGUES/  TRAFIC MONDIAL

Phénomène qui émerge depuis longtemps, le trafic et la consommation des drogues illicites n'ont eu de cesse de croitre avec le développement des classes moyennes dans les régions les plus riches du monde, consuméristes et ludiques. Cette demande non médicale de produits psychotropes a permis l'émergence de marchés parallèles extrêmement rentables, qui impactent le monde entier et déstabilisent certains États avec un taux de mortalité considérable. 



Principalement localisée dans les pays andins, la production de cocaïne en Colombie et au Pérou a été impactée par les premiers confinements stricts et par les difficultés accrues des cultivateurs pour se rendre dans les zones de culture.  En dépit de ces difficultés conjoncturelles, la production de cocaïne n'a jamais été aussi importante.  La Colombie reste le premier producteur malgré une diminution des surfaces cultivées et le niveau de production au Pérou et en Bolivie ont atteint des records inégalés. Cette forte production se confirme par la baisse des prix du kilogramme de cocaïne. La baise des prix de vente de la feuille de coca a généré un grand nombre de tensions dans les zones de production. Elles s'expliquent notamment par des stratégies de conquête de nouvelles zones de production dans un contexte de pénurie des feuilles de coca engendrée par la diminution du nombre d'ouvriers agricoles mobilisables pendant le confinement. Les difficultés d'accès aux précurseurs de la cocaïne importés sont quant à elles relatives : les producteurs bénéficient d'une certaine autosuffisance en utilisant de plus en plus d'intrants produits localement. Malgré la baisse des prix, la production de cocaïne a, elle, augmenté depuis 2019, tandis que les superficies consacrées à la culture de la coca sont en diminution, en passant de 145 000 ha en 2019 à 140 000 ha en 2020. Toutefois, les problèmes d'acheminement des précurseurs chimiques nécessaire à la production ont poussé les producteurs de cocaïne à délocaliser leurs sites de culture vers de nouvelles régions moins contrôlées. C'est le cas de l'Amérique centrale, où des plantations de coca ont été découvertes au Guatemala, au Honduras et au Mexique. C'est désormais aussi le cas en Europe, notamment aux Pays-Bas et en Espagne, où des laboratoires de transformation travaillant à partir des produits intermédiaires que sont la pâte base de cocaïne et la cocaïne base ont été démantelés. Cette relocalisation de la transformation de la coca pâte en cocaïne facilite l'accès aux intrants chimiques bien plus contrôlés en Amérique Latine qu'en Europe. Concernant les routes d'acheminement, les routes maritimes des Antilles et du Cône sud de l'Amérique Latine demeurent les plus importantes. La Colombie reste le pays qui saisit le plus de cocaïne devant le Brésil, qui continue à être le premier pays de sortie du sous-continent avec le port de Santos. Afin de rejoindre l'Europe, outre les routes traditionnelles qui desservent aussi l'Amérique du Nord, la route dénommée (autoroute 10), qui relie l'Amérique à l'Afrique en suivant le 10 parallèle nord, chemin le plus court entre les deux continents, est devenue très active. Citons la saisie à fort-de-France en 2020 de 600 kg de cocaïne en provenance du port conteneurisé de Remire-Montjoly en Guyane et destinés au Havre. Cette tendance s'observe aussi dans les ports européens comme Anvers, Rotterdam ou le Havre. Un report des trafics de l'aviation commerciale vers l'aviation privée, bien moins contrôlée, a également été identifié. Ainsi, la cocaïne passe désormais par les ports belgo-néerlandais en parallèle de la traditionnelle porte d'entrée espagnole. 


LE MARCHÉ DE L'HÉROÏNE ET DES OPIOÏDES DE SYNTHÈSE



Parmi la famille des opioïdes illégaux, l'héroïne représente le principal produit issu du pavot. Trois grandes zones de production se partagent la culture du pavot à opium : l'Afghanistan qui constitue avec l'Iran et le Pakistan (le croisant d'or) est de très loin le premier producteur, avec 80% des surfaces cultivées dans le monde ; le Triangle d'or, avec principalement la Birmanie le Laos et le Vietnam ; l'Amérique Latine enfin, avec en tête le Mexique et la Colombie, produit une héroïne destinée exclusivement au marché américain. Selon l'ONUDC "1", il est vraisemblable que la production d'héroïne ait été plus impactée que la production de cocaïne en raison des difficultés d'accès aux précurseurs chimiques nécessaires, notamment l'anhydride acétique, sont essentiellement produits en Europe et en Chine, en particulier dans la région de Wuhan, qui abrite une production chimique colossale. Toutefois, l'augmentation croissante de la production de drogues de synthèse, comme la méthamphétamine, par les acteurs, suggère que ces nouvelles drogues sont plus rentables et plus faciles à produire que la traditionnelle héroïne. Concernant les routes, la piste des Balkans, permettant à l'héroïne de rejoindre l'Europe via le vecteur terrestre, aurait été très durement touchée. Néanmoins, le phénomène s'accroit en 2021 lors de la fermeture des frontières terrestres entre l'Iran et la Turquie, frontières par lesquelles passe l'héroïne. Les tentatives de contournement de cette route par les mers a permis de saisir 700 k d'héroïne et 80k d'opium au Pakistan à destination du port d'Envers en 2021. Soulignons également que le marché de l'héroïne est désormais très concurrencé par celui des opioïdes synthétiques comme l'oxycodone et le fentanyl en Amérique du Nord, en Europe et en Océanie et par le tramadol en Afrique et au Moyen-Orient. Cette distribution d'opioïdes médicamentaux, issus de circuits légaux et illégaux, a explosé ces dernières années et a causé plus de 200 000 morts en Amérique du Nord. L'opioïde légal, difficile d'accès par son prix, est remplacé par les opioïdes illégaux, mais aussi par l'héroïne. Une boite de médicament légal d'opioïdes coute en moyenne 300 dollars aux États-Unis, alors que le gramme d'héroïne se négocie autour de 24 dollars. En parallèle, l'explosion du (Fentanyl) devient une menace sanitaire des plus problématiques. Avec une puissance huit fois supérieure à l'héroïne, le fentanyl, utilisé comme produit de coupe et associé à d'autres drogues, augmente les risques d'overdose. 

LES STIMULANTS DE SYNTHÈSE/ UN TRAFIC HORS DE CONTRÔLE

Si les principaux lieux de production de drogues synthétiques sont les États-Unis, le Mexique, la Chine et l'Iran, cette production en laboratoire, non soumise aux contraintes géographiques et climatiques, se diffuse dans le monde entier. C'est le cas en Afrique, où les mafias nigérianes produisent désormais de la méthamphétamine en grande quantité. Ce marché mondialisé a peu été impacté par les restrictions de transport liées à la crise sanitaire, la production étant bien souvent proche des zones de consommation. La Chine, qui bénéficie d'une grande partie des délocalisations et sous-traitances de productions chimiques occidentales, développe une production quasi légale de ces drogues de synthèse. Cette tendance suit de manière exponentielle les évolutions du commerce extérieur chinois, du fait de l'intensification des flux commerciaux.  À ce titre, la signature d'accords préférentiels, dans le cadre des nouvelles routes de la soie ou de la politique extérieure européenne, pourrait mener à une recomposition des logiques de distributions des drogues de synthèse. En Europe, les ecstasys/MDMA, dont les principaux producteurs sont les Pays-Bas, se développent de façon préoccupante avec des groupes criminels qui se sont convertis aux drogues de synthèse dans les années 2000 et qui sont actuellement très actifs. Ainsi, les prix des précurseurs nécessaires pour produire de la méthamphétamine auraient augmenté de 26 à 400%, avec conséquence des répercussions importantes sur le marché de gros et de détail des grandes métropoles américaines. On décèle aussi une contraction de la production de drogues de synthèse en Syrie, en Libye et en République tchèque, très touchées par l'accès aux précurseurs chimiques nécessaires à la production de méthamphétamine et de MDMA. En règle générale, la réduction des exportations chinoises des produits chimiques entrant dans la composition de la plupart des drogues produites a très rapidement créé une pénurie de la production en Amérique du Nord et au Moyen-Orient, puis s'est traduite par une flambée des prix aux États-Unis en quelques mois seulement. Cette forte pénurie aurait même acculé les organisations criminelles à organiser des trafics de fourmis, de précurseurs chimiques et de drogues par la voie postale, ce qui a participé à la hausse des prix des drogues constatée dans le monde, à l'exception du cannabis. 

LA GÉOPOLITIQUE DU CANNABIS

 

Avec 250 millions de consommateurs dans le monde en 2021, le cannabis est, de loin, le produit le plus consommé au monde et sa consommation continue de croitre. Sa production désormais régionalisée est restée stable, la plus grande partie de cette drogue étant cultivée à proximité des zones de productions (herbe produite sous serres) et nécessitant peu d'intrants. Les contraintes de transport ont accentué la production de proximité via les méthodes de cultures en extérieur et intérieur permettant de produire une herbe de cannabis qui répond aux exigences des consommateurs. L'Amérique du Nord continue d'être le principal marché du cannabis. La traditionnelle distinction entre les zones de production et celles de consommation a volé en éclat depuis l'émergence de la production illégale de cannabis aux États-Unis dans les années 1980, jusqu'à la législation médicale et récréative dans de nombreux États après 2012. Aux États-Unis, plus de la moitié des États ont légalisé la production, la distribution et la consommation du cannabis pour des raisons médicales, et huit d'entre eux pour un usage récréatif. Les Etats ayant légalisé le cannabis ganent donc progressivement des parts de marché, contribuant à une polarisation des flux et transformant durablement la géopolitique du cannabis en Amérique du Nord. Si la production reste majoritairement illicite en Amérique du Nord, l'émergence d'une production légale diminue significativement les parts de marché détenues par les organisations criminelles. Privés d'une partie croissante de leurs rentes, ces groupes se réorganisent autour de la production d'autres drogues, comme la méthamphétamine ou les opioides de synthese. Elles détournent aussi la production légale au profit de marchés où la substance reste prohibée et tentent parfois d'infiltrer l'économie légale du cannabis afin de blanchir l'argent des trafics illicites. La fin de la dichotomie Nord/Sud se confirme aussi en Europe, dont l'approvisionnement principal provient du Rif marocain, plus marginalement encore de la plaine de la Bekaa au Liban. Le cannabis européen est apparu plus largement dans les années 1990 aux Pays-Bas, qui produisaient sous serre des variétés bien plus puissantes que celes habituellement consommées. Cette herbe de cannabis néerlandaise s'exportait uniquement vers quelques pays voisins comme la Belgique et le Royaume-Uni jusqu'aux années 2000. Puis, elle s'est diffusée dans toute l'Europe. Aujourd'hui, l'Espagne et l'Albanie où se concentre la plus grande partie de la production illégale de cannabis européen sont devenues les principales sources de production d'herbe européenne, alors que le cannabis néerlandais tend désormais à décliner. En Espagne, la dépénalisation du cannabis a entrainé une forte hausse des productions illégales, destinées à une vente massive, notamment à la frontiére francaise. Par ailleurs, les futurs changements envisagés au Luxembourg et en Allemagne pourraient reconfigurer la géopolitique européenne du cannabis à court terme. Face à cette évolution, les trafiquants de résine produite au Maroc ont dù professionnaliser leurs moyens de production et opter pour des variétés plus puissantes. La résine marocaine reste trés présente en Europe, bien que les trafiquants, privés d'une partie de leurs débouchés sur le Vieux Continent, diversifient les marchés vers le Maghreb et le Moyen-Orient. 



Cette crise ait accentué les phénoménes de corruption, notamment dans les Etats faillis. De plus, la paupérisation des classes moyennes dans les pays émergents et la reconfiguration temporaire des relatons internationales semblent avoir favorisé des effets significatifs sur les équilibres régionaux. Pour la France, ces effets seront certainement des axes de recherches futurs à défricher dans un monde où l'entrelacement entre le licite et l'illicite devient de plus en plus ténu. 

MOHAMMED CHERIF BOUHOUYA



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