dimanche 19 février 2023

GEOPOLITIQUE /  ÉVOLUTIONS DE L’AFRIQUE DE 2030 A 2050


Le regard porté sur les vingt dernières années laisse entrevoir des évolutions contrastées tant sur le plan politique, avec la résurgence des coups d’État que sur les plans économique et géopolitique avec les conséquences de la guerre-ukrainienne sur les grands équilibres macroéconomiques et sociodémographiques du continent africain. Après avoir passé une décennie décevante avec, à la clé, une gestion chaotique et des facteurs, à la fois internes et externes, qui ont contribué aux mauvais résultats économiques aggravés par des pratiques politiques peu démocratiques, le développement spectaculaire de la corruption et la prolifération des guerres et de troubles multiformes. 

La transformation de l’Organisation de l’unité africaine en une Union africaine, la multiplication des initiatives régionales pour plus d’intégration des économies et des peuples, l’accélération de la démocratisation des systèmes politiques et la poursuite du développement des Organisations de la société civile caractérisaient par la même occasion les grandes évolutions et les défis majeurs que l’on devait surveiller au cours des décennies à venir. Ainsi, au travers d’une lecture rétrospective, nous tenterons de déterminer les tendances structurantes des grandes évolutions de l’Afrique à l’horizon 2050, tout en mettant en perspective les incertitudes géopolitiques que pourraient engendrer les défis et les évolutions actuelles.

IMPUISSANCE ET RISQUE D’INSTABILITÉ PERMANENTE D’ICI 2050


La démocratie en Afrique reste perçue, dans de nombreux pays, comme une démocratie de façade de luxe. Le processus démocratique a souvent été construit pour répondre aux attentes et conditionnalités internationales des principaux bailleurs de fonds occidentaux. Les indices de performance s’observent à travers la tenue des élections libres et transparentes, le développement du multipartisme et la promotion de la bonne gouvernance. En l’absence d’un ancrage institutionnel et de mécanismes de régulation indépendants, cette apparente ouverture n’est pas parvenue à opérer une rupture politique avec les dérives autoritaires des systèmes fondés sur des États-partis. Si des progrès significatifs ont été réalisés dans certains pays, dans d’autres, de nombreux obstacles résistent tout autant au changement de façon spectaculaire. Ces progrès sont freinés par la tenue d’élections certes régulières mais mal préparées, truquées et faites de contestations débouchant très souvent sur des violences préélectorales sanglantes. Cette réalité tient à l’historicité de certains systèmes nationaux, marqués par des logiques de forte personnalisation du pouvoir et des institutions, faisant parfois de l’alternance et de la succession par les armes et la violence les seuls moyens alternatifs crédibles d’accès au pouvoir. Les processus de démocratisation s’enracinent néanmoins progressivement sur le continent par la création et le renforcement des institutions représentatives, l’organisation des élections multipartites et surtout la montée en puissance des mouvements de contestations populaire revendiquant plus de liberté et de démocratie dans les rues et surtout sur les réseaux sociaux. Ont constate également une montée de la contestation et des mouvements de protestation civique, politique et syndicale, souvent relayés par les églises et les organisations de la société civile. Au cours des prochaines décennies, les médiations de ces mobilisations pourrait modifier non seulement les comportements, mais aussi la nature et la forme des institutions. Ces nouvelles formes de mobilisation, amplifiées par la libération de l’information et l’explosion des réseaux sociaux, permettent d’accroître l’influence des groupes de pressions, la promotion des droits de l’homme et la conscientisation des populations sur leurs droits économiques, sociaux et culturels. Cette tendance, qui s’inscrit dans une dynamique irréversible, pourrait indéniablement se consolider dans les années à venir. La consolidation des démocraties africaines pourrait être un facteur de paix et de stabilité durable. Elle pourra consacrer la solidité des institutions et favoriser une redistribution plus équilibrée des richesses nationales en accélérant les processus de décentralisation adaptés aux inégalités territoriales. Cependant, la persistance des comportements antidémocratiques et l’absence d’alternance politique pourraient ruiner tout espoir d’émancipation des populations africaines. Elles pourraient, par ailleurs, confirmer la reproduction de la formation de la classe dominante actuelle et renforcer ainsi les inerties politiques porteuses de clivages et de divisions voire des embrassements.

OPPORTUNITÉS ÉCONOMIQUES ET INSTABILITÉ GÉOPOLITIQUE

Au cours des deux derrières décennies, d’après les statistiques, l’Afrique a crée plus de 38 millions d’emplois rémunérés, alors que la population a été multiplier par prés de cinq entre 1960 et 2021, dépassant le milliard en 2017. Le taux de croissance annuelle est de 2,8 %, alors qu’à l’échelle du monde il s’établit à 1%. La croissance annuelle du chômage de 2017 à 2020 est de 40 millions de personnes en moyenne par an. Les réformes entreprises par les pays africains et l’entrée de nouveaux capitaux, de financements innovants et d’importantes remises de dette, ne sont pas parvenues à inverser la courbe du chômage et de la précarité engendrée par la pression démographique en Afrique, ce qui a contribué à fragiliser la relative stabilité observée dans plusieurs pays. Le défi démocratique demeure colossale pour ce continent de plus d’un milliard d’habitants. D’ici 2050, le nombre de jeunes de 15 à 30 ans aura plus que décuplé en Afrique et le nombre de jeunes urbains aura été multiplié par plus de vingt. Un défi historique qu’aucune société n’a jamais eu à relever. Plus de 20 millions de jeunes arrivent annuellement sur le marché du travail dont plus de 75% sont sans emplois durables ou décents. La croissance économique et la stabilité sociale de l’Afrique dans les décennies à venir ( 2035-2050) débonderont du niveau d’insertion socioprofessionnelle de la jeunesse dans les économies formelles au niveau nationale et régional. La croissance demeurera dépendante à la fois des trajectoires que prendront les mutations internationales actuelles et des réformes structurelles à entreprendre et à mettre en œuvre. La montée en puissance des pays émergents, qui accroît la concurrence internationale en Afrique, pourrait provoquer une transformation structurelle des économies africaines. En revanche, elle risque aussi, compte tenu de l’absence de conditionnalité et de coordination dans la coopération, de porter un sérieux préjudice à la protection sociale des populations et la préservation des équilibres géopolitiques nationaux et régionaux. Or toutes les études s’accordent à indiquer que l’Afrique représentera la plus grande population active du monde à l’horizon 2050. Ont peut signaler également que, si la jeunesse est maintenue à l’écart des circuits économiques et si son intégration dans les champs politiques et des systèmes de production n’est pas effective, l’Afrique connaîtra incontestablement des instabilités et des catastrophes humanitaires sans précédent.

CONFLITS ARMES ET INSECURITE



Si de 1990 à 2000 on enregistrant environ 11 conflits par an sur tout le continent, ce nombre est passé à 5 en moyenne depuis 2021. Plusieurs instruments et dispositifs institutionnels, opérationnels et financiers ont été mis en œuvre, par les Africains et leurs partenaires internationaux, pour prévenir, gérer les conflits et consolider la paix en Afrique. Malgré l’adoption du mécanisme de prévention et de gestion des conflits et un processus graduel d’acquisition des capacités opérationnelles autonomes, la méfiance et les querelles de leadership entre États des régions concernées et l’ingérence des Saoudiens, les Émiratis, et l’Iran, battent leur plein au moment où le continent se voit progressivement envahi par la montée de l’extrémisme violent. La protection de l’intégrité territoriale demeure un enjeu de taille en matière de sécurité pour de nombreux États, comme le Cameroun, la Centrafrique, la République démocratique du Congo, le Mali, et la Centrafrique. Dans les décennies prochaines, les menaces asymétriques plongeraient les États dans une insécurité structurellement chronique. Nous pourrions assister à l’effondrement de certains États africains et à la paralysie économique de ces derniers comme c’est le cas de la Libye, la Somalie ou la République centrafricaine. La présence des américains et Israël au Maroc, pourrait aussi gréer des tensions voire des revendications territoriales qui déboucheront sur l’intégrité de l’Algérie et pire encore une guerre sans fin qui éclaterait l’Algérie en plusieurs États; un scénario qui nous rappel l’ingérence des Emiratis et du Mossad Israélien et l’éclatement du Soudan en deux pays rivaux. Nous pourrions observer aussi le durcissement des législation nationales en matière de sécurité intérieure avec une restriction des libertés publiques, mais aussi une économie structurée permanente en matière de sécurité et de défense au niveau régional.

CONVOITISES ET RIVALITÉS DES PUISSANCES SUR LE CONTINENT


Longtemps réservée au partenariat et à la coopération avec l’Europe, l’Afrique représente, pour les États-Unis , la Chine, l’Inde, la Turquie, le Japon et le Brésil, un réservoir de matières premières énergétiques. Certes, elle ne représente environ que 2 % du commerce international, mais elle a enregistré la plus forte croissance dans les échanges internationaux, avec un taux d’importation d’environ 17% par an entre 2000 et 2011. Cette dynamique s’est consolidée d’année en année, si l’on s’en tient aux évolutions démographiques et aux richesses naturelles inexploitées sur le continent. Elle représente ainsi une source de convoitises pour les puissances internationales et un théâtre d’affrontements stratégiques et économiques entre les prédateurs du monde. Les nouvelles découvertes dans les régions de la vallée du Rift, dans la région du Lac Turkana et la façade est du sous-continent de l’océan-indien, riche en gaz, permettront de maintenir l’Afrique parmi les cinq zones d’exploitation les plus prometteuses du monde. Source de convoitises pour les puissances, mais aussi pour les groupes armés nationaux et transnationaux, terrain de projection d’influence, espace éminemment géopolitique et géoéconomique, l’Afrique restera inscrite dans l’agenda diplomatique des politiques étrangères des puissances, qu’elles soient grandes ou de taille moyenne. Les avantages économiques et commerciaux de la Chine et l’offensive stratégique de la Russie sur le continent pourraient perturber les processus de transformations mis sur pied en Afrique en cas de victoire du bloc États-Unis / Europe. Les pays africains proches de la Russie ou ayant développé des accords de défense avec cette dernière pourraient revivre le sort réservé à certains pendant et après la fin de la guerre froide. Enfin, les États représentant un intérêt vital pour ces dernières pourraient connaître de sérieuses tensions politiques internes avec la multiplication des soutiens opérationnels extérieurs à des mouvements de contestations populaires. Au cours des deux prochaines décennies, plusieurs tendances économiques mondiales façonneront les Etats en leur sein et dans leurs relations internationales. L'augmentation de la dette nationale, la complexification et la fragmentation de l'environnement commercial, le développement des services, des nouvelles perturbations de l'emploi et l'essor continu des entreprises les plus puissantes. En Afrique, de nombreux gouvernements verront leur marge de manœuvre réduite alors qu'ils doivent faire face à une dette plus lourde, à des règles commerciales plus nombreuses et à une pression de l'opinion publique pour relever des défis allant de l'évolution démographique au changement climatique. Au cours des vingt prochaines années, le succès ou l'échec des villes déterminera les opportunités et la qualité de vie d'une part croissante de la population. Le nombre de résidents urbains dans les pays africains devrait augmenter, passant d'un milliards à plus de deux milliards d'ici 2040. De nombreux gouvernements de pays en développement, même en travaillant avec le secteur privé et les organisations non gouvernementales rencontreront des difficultés à financer les infrastructures de transport urbain, de services publics et d'éducation nécessaires. Certaines zones urbains d'Afrique se retrouvent piégées par la pauvreté en raison des compétences insuffisantes. En outre, les taux de natalité dans les villes d'Afrique sont supérieurs aux autres régions en développement, ce qui augmente l'offre de main-d'œuvre dans les villes plus rapidement que les emplois ne peuvent être créés. De nombreux pays vont se retrouver confrontés à des défis dans les domaines de l'éducation, de la santé et de la lutte contre la pauvreté. Les défis en Afrique au cours des deux prochaines décennies, les pays ayant une forte proportion de jeunes devront répondre aux besoins fondamentaux de leur population, et risquent de subir une forte instabilité sociale souvent associée à l'exploitation de le chômage croisant de la jeunesse. Plus d'un tiers de la population en Afrique aura moins de 15 ans en 2040, contre seulement 14% de la population d'Asie de l'Est. Les autres pays les plus peuplés qui resterons très probablement sous le seuil de l'âge médian en 2040 sont L'Egypte, l'Afghanistan et le Pakistan. En Afrique, les troubles de la santé mentale et les toxicomanies ont augmenté de 14%  au cours de la dernière décennie, principalement en raison de la prévalence disproportionnée des troubles mentaux chez les adolescents et les jeunes diplômés. Actuellement, entre 10 et 30% des jeunes souffrent de troubles mentaux, et le suicide est la troisième cause de décès chez les personnes âgées de 20 à 30 ans. Ainsi, les systèmes de sante ne sont pas suffisamment équipés pour faire face aux augmentations des maladies. Les maladies non transmissibles sont désormais à l'origine de la majorité des décès en Afrique, principalement à cause du diabète, des maladies cardiovasculaires, du cancer et des affections respiratoires chroniques telles que l'asthme. D'ici 2040, les maladies non transmissibles pourraient être à l'origine de 70% des décès dans les pays à faibles revenus. 


Enfin, si la hausse des températures se poursuit sans relâche, les effets physiques du changements climatiques devraient s'intensifier, avec des conséquences catastrophiques en Afrique. Aucun pays, aucune région du continent ne sera à l'abri des effets climatiques et surtout la dégradation d l'environnement. De façon générale, les pays africains seront les plus touchés, car ils n'ont pas la capacité de s'adapter au changement climatique et sont en moyenne plus exposés à ses effets.

MOHAMMED CHERIF BOUHOUYA








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