vendredi 19 mars 2021

GÉOPOLITIQUE/ LA RUSSIE SELON POUTINE

Poutine a engagé ça propre désoccidentalisation du pays tout en prenant un virage à l’Est. Ce virage, qui outre la pression économique et géopolitique de l’Occident, était dicté par l’émergence de nouveaux pôles de puissances économiques dans la région de l’Asie-Pacifique, qui a pris une dimension idéologique. Toutes sortes de faucons, d’idéologues et  militants anti-occidentaux, de chantre d’un eurasisme agressif ont été propulsés sur le devant de la scène politique.


A quelques exceptions prés, les Russes estiment que Poutine a su redresser le pays sur le plan international et lui redonner le statut de grande puissance. Cette fierté nationale qui, vue de Russie, a été humiliée à maintes reprises par les Etats-Unis et ses alliés après la chute de l’URSS, a ainsi été restauré. Le rattachement de la Crimée, que la majorité absolue des Russes considèrent comme une sorte de réparation de l’injustice historique commise par « Nikita Khrouchtchev en 1945 », y a grandement contribué. Et si l’intervention russe en Syrie ne suscite pas d’enthousiasme, la détermination du chef du Kremlin face à la pression de l’OTAN ne fait que rehausser son prestige. Sur le plan général, une minorité seulement, estime que Poutine est à la hauteur de ses fonctions. Mais ce crédit de confiance est beaucoup plus fragile qu’on ne le pense, notamment à cause de la situation économique qui, en dépit de l’optimisme officiel, est instable et globalement vulnérable. Certes, le Kremlin a su éviter le chaos après la crise financière internationale de 2008 et la chute des cours du pétrole et du gaz en 20014, l’économie russe n’a pas non plus été déchirée en lambeaux, comme l’espérait les Etats-Unis, par les sanctions occidentales liées au conflit en Ukraine. Après la réélection attendue de Poutine en 2018, la modernisation promise de la Russie risque d’être superficielle, sans toucher aux bases du système, ce qui pourrait nourrir une apathie économique et, donc, le mécontentement populaire. Les rumeurs qui circulent à Moscou prédisent tout de même un changement pour 2024, date à laquelle les élections présidentielle devront avoir lieu : Comme Poutine, selon la Constitution russe ne pourra plus se présenter, une réforme constitutionnelle pourrait être effectuée afin de lui permettre de rester au pouvoir d’une façon directe. Il aurait toujours un président (Dimitri Medvedev), doté de pouvoirs considérables, mais il serait supervisé par le leader national, d’où le nom de sa fonction importe peu, capable de bloquer ses décisions. Autrement dit, il s’agirait d’un système à la chinoise et des républiques bananières. Une telle pratique serait soutenue non seulement par le cercle proche de Poutine, qui réunit une grappe de personnages clés du régime, issus de l’ancien KGB ou de l’actuel FSB, mais aussi par la majorité de la classe dirigeante russe actuelle. Cette classe s’est transformée peu à peu en une nouvelle noblesse héréditaire, c’est-à-dire une couche sociale supérieure fermée sur elle même, où la richesse et les postes de commande dans les structures de l’Etat et les grandes entreprises se transmettent aux enfants et aux petits-enfants. Dans une certaine mesure, ce phénomène existe également dans certains pays occidentaux et les régimes dictatoriaux. Mais en Russie, il apparaît sous sa forme la plus morbide qui donne à penser à une nouvelle féodalité. D’où l’attachement de cette couche suprême à la stabilité incarnée par Poutine, excluant toute concurrence politique réelle, qui serait susceptible, évidement, de perturber tout le processus en question. Néanmoins, de l’avis unanime d’experts russes indépendants, en l’absence de profondes réformes, notamment économiques, la pérennisation de cette situation, fût-elle au moyen d’une astuce constitutionnelle, pourrait se retourner contre le régime et, in fine, contre la classe dirigeante tout entière. Bien que les indicateurs macro-économiques russes se soient nettement améliorés vers le début de 2018, le déficit budgétaire a baissé jusqu’à 1,5%, la dette publique ne dépasse pas 20% du PIB, et les perspectives quantitatives et qualitatives du pays ne semblent pas prometteuses. Les experts indépendants russes sont encore pessimistes. Selon eux, si l’on ne limite pas le poids de l’Etat dans l’économie (celui-ci contrôlant, directement ou indirectement, plus de 70% du PIB), ainsi que la pression sur le business d’une énorme machine bureaucratique et l’ingérence de ses structures de force (police, FSB, parquet, qui sont l’une des causes principales de la corruption massive et le népotisme), le pays prendra le chemin d’une croissance très faible. Même si les cours élevés du pétrole et du gaz perdurent, ce qui n’est pas certain, elle ne devrait pas dépasser 2% par an. Pour les mêmes raisons, le secteur de l’innovation ne pourra connaître  qu’un développement fragile et le retard technologique de la Russie par rapport aux pays avancés ne sera pas rattrapé.

DES DÉFIS A LONG TERME

Si cette économie ne connaît pas de réforme profonde, elle sera obligée d’affronter les défis de la révolution numérique et une compétition internationale économique et technologique de plus en plus acharnée, notamment en raison de l’émergence de nouvelles grandes puissances. Cela risque d’aggraver encore le décollage existant entre les visées géopolitiques du Kremlin et le potentiel économique réel de la Russie, ce qui pourrait remettre en question la grandeur retrouvée du pays, essentiellement grâce à sa puissance militaire. En 2017, la Russie a pour la première fois depuis 1999 dû réduire son budget militaire de 20%, malgré l’engagement des forces ruses en Syrie et en Ukraine. Les dépenses pour le programme de modernisation de son armée  ont été aussi revues à la baisse. A en juger par les récentes déclarations de Poutine, il sent ce danger, même s’il ne se lasse pas de vanter la stabilisation macro-économique. Dans son discours d’investiture du 6 mai 2018, Poutine a insisté sur la nécessité de faire (une percée économique et technologique dans un délai très bref, sinon, a-t-il souligné, la Russie risque d’être à la traîne des pays avancés pour toujours). Concernant les buts nationaux et les taches stratégiques de la Russie, il y a donc une apparente volonté de donner un souffle au système, en particulier au secteur économique. Le défi, le président russe, qui s’est montré bon tacticien depuis son investiture et qui a su s’adapter aux aspirations de la population en s’appropriant des slogans de droite ou de gauche, reste très limité dans son action. Il est peu probable qu’il prenne le risque d’engager les réformes adéquates visant, notamment, à diminuer le rôle des grandes sociétés d’Etat et des structures de force pour l’unique raison que cela menacerait d’ébranler le « socle même de son pouvoir ». Rien non plus d’espérer qu’il risquerait à lutter réellement contre la corruption et l’oligarchie qui gangrène l’Etat afin de calmer les opposants et le peuple. L’égoïsme et le manque de lucidité de cette classe très dominante et dirigeante qui, se replie de plus en plus sur elle même, empêchent de s’attaquer aux problèmes des inégalités sociales qu’un nombre grandissant de Russes juge inacceptable. Quand à l’initiative individuelle, dont Poutine a parlé au Forum économique de Saint- Pétersbourg, elle est absolument contraire à l’esprit du régime qui, depuis des décennies, s’efforce de rétrécir l’espace de liberté dans le pays. A mon avis, la modernisation du  pays promise par Poutine se limitera à des changements superficiels, comme le rajeunissement du corps de hauts fonctionnaires, sans toucher aux bases du système. Des tentatives similaires ont déjà eu lieu dans l’histoire de la Russie, impériale ou soviétique,  n’ont fait que retarder les vraies réformes afin d’éviter les cataclysmes sociaux et politique pour le maintien de la tyrannie. La dépendance évidente de la Russie vis-à-vis du géant chinois, que les élites (opposants) ont toujours crainte, a été reléguée dans l’ombre. Cependant, les difficultés actuelles de l’UE ont été mises en relief pour affaiblir l’attractivité de l’Europe. Le décalage de plus en plus évident entre les attentes de la population, à laquelle on fait miroter depuis longtemps une économie avancée et la prospérité, et la réalité d’une injustice sociale grandissante, devrait inéluctablement conduire les Russes à demander un changement radical de politique intérieure. Pour le moment, l’opposition démocratique en Russie est très vulnérable et très divisée. Elle parait trop pro-occidentale et, donc peu patriotique, et surtout loin des soucis de la population. Mais le succès relativement important « d’Alexeï Navalny », qui essaie de combiner le patriotisme et l’idée d’une démocratie à bâtir, a bien montré qu’un modèle tourné vers celle-ci a une perspective dans le pays. Il faut néanmoins noter que l’avènement d’une démocratie, qui au début serait plutôt illibérable, comme en Hongrie ou en Pologne, ne peut qu’être le fruit d’une maturation longue au sein de la société russe.

LES ENJEUX GÉOPOLITIQUES ET 

GÉOSTRATÉGIQUES VUES PAR POUTINE

Sur ces deux enjeux de taille, Poutine ne souhaite pas voir l’UE se transformer en Etats fédéral, qui forcement serait plus puissant que la Russie, il ne désire non plus la voir se disloquer ou même s’affaiblir trop. L’UE est vue par le Kremlin comme un (contrepoids objectif) à l’hégémonie américaine et à la politique envahissante de la Chine. Ce n’est pas un hasard si 40% des réserves russes de change sont libellées en euro. Poutine n’aime pas l’Europe démocratique, mais son approche est surtout pragmatique. Le fait que l’UE reste pour la Russie une source principale de recettes d’exportations, de nouvelles technologies et d’investissements, l’emporte sur tout le reste. Sur un autre volet, notamment dans la région balte, l’OTAN s’apprête à repousser une éventuelle attaque russe sans jamais se poser la question de savoir pour quelles raisons la Russie se lancerait dans une aventure aussi suicidaire, étant donné la supériorité militaire écrasante de l’Organisation Atlantique (la Russie, dont le PIB et le budget militaire sont douze fois inférieurs à ceux des Etats-Unis). On comprend mieux les peurs fantomatiques des pays baltes ou de la Pologne, ainsi que leur envie d’augmenter de cette manière leur poids géopolitique. On comprend également aussi le désir de l’OTAN de trouver enfin un adversaire digne de ce nom afin d’avoir plus de financement, d’armements, de postes, et autres. Les militaires russes considèrent d’ailleurs la confrontation actuelle comme une manne trouvée. Afin d’évité ces tendances dangereuses, la diplomatie et le dialogue doivent prendre le flambeau. Dans ce contexte, l’idée d’une « puissance Européenne », incarnée par le Conseil de l’Europe, refasse surface. Dans ce cadre, la Russie apparaît  non seulement comme un partenaire indispensable sur le continent (enjeux géopolitiques et géostratégiques) , mais aussi comme un pont solide entre l’UE et la chine. Le président Français et la chancelière Allemande ont compris l’importance de ces enjeux. En 2017, dans ses déclarations au Conseil de l’Europe à Strasbourg,  Emmanuel Macron a mentionné (notre maison commune de Lisbonne à Vladivostok) et a souligné qu’on pouvait discuter des problèmes des droits de l’homme et de démocratie sans pour autant s’ériger en donneur de leçons. Le président Français a confirmé cette approche pragmatique au Forum de Saint-Pétersbourg, concluant plus de 50 accords bilatéraux de coopérations dans divers secteurs.

Pour la diplomatie Française, les divergences de principe, les clichés négatifs, les préjugés, le manque de confiance persistent et ne disparaîtrons pas du jeu, a l’inverse des Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la Pologne ou encore les pays Baltes, la vision futuriste sera comment se dresser contre le BRICS et stopper l’émergence de la Chine sur le plan géoéconomique, géopolitique et géostratégique ?

MOHAMMED CHERIF BOUHOUYA

 

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