GÉOPOLITIQUE/ L’ARCTIQUE : LE HARD POWER SINO-RUSSE
Depuis la
crise autour de l’Ukraine et la détérioration rapide et visiblement
irréversible des relations entre la Russie et l’Occident ont donné à ce
rapprochement un air beaucoup plus géopolitique et durable ; qui n’est pas
sans rappeler la période de l’amitié sino-soviétique des années 1950.
D’ailleurs, les références à cet épisode historique sont fréquemment utilisées
par les deux chefs d’Etats, afin de mettre en avant les souvenirs glorieux et
occulter les pages sombres de l’histoire commune.
Depuis
2017, la coopération entre la Chine et la Russie en Arctique est passée au
premier plan des communiqués officiels sino-russes. L’intérêt chinois pour
l’Arctique russe n’est pas nouveau ; ce qui change, c’est l’ampleur des
opportunités économiques que la Russie a décidé d’accorder aux entreprises
chinoises dans cette région qu’elle considère comme stratégique. La Chine
participe désormais aux exploitations de gisements d’hydrocarbures arctiques
non seulement comme investisseur silencieux, mais aussi comme fournisseur
d’équipement et de technologies. La contribution chinoise à la réalisation du
projet « Yamal LNG » en est une illustration parfaite. L’objectif de
ce mégaprojet est d’exploiter le gisement du gaz naturel de la péninsule du
Yamal, située au-delà du cercle Arctique, d’en liquéfier le gaz extrait et
ensuite de l’exporter par les méthaniers, en Asie, en suivant le passage du
Nord-Est qui longe la côte nord de la Russie jusqu’au détroit de Béring.
Véritable défi technologique et logistique, ce projet fut au départ envisagé
comme une initiative franco-russe, dont Total et Novatek étaient les
actionnaires majoritaires. Mais, après l’imposition de sanctions par les
occidentaux à l’encontre de la Russie qui ciblent entre autres le secteur de
l’énergie, Moscou a dû se tourner vers la Chine, comme c’est le cas de l’Iran
actuellement. Depuis, Pékin est devenu le second actionnaire du Yamal LNG après
la Russie, qui le contrôle avec 50,1% d’actions, alors que les chinois CNPC et
China’s Silk Road Fund en possèdent 29,9% reléguant ainsi le français Total à
la troisième position avec 20% d’actions. Le cœur du projet était la
construction d’une usine de gaz naturel liquéfié (GNL) qui devrait produire
16,5 millions de tonnes par an à partir de 2019. Afin de rendre le site
opérationnel, il fallait construire un véritable complexe industriel sur le
permafrost avec un port, capable d’accueillir de grands méthaniers brise-glace,
un aéroport international, des routes et des voies ferrées ainsi que des
réservoirs géants pour stocker le GNL. Les perspectives de réalisation de ce
projet pharaonique dans les conditions d’exploitation extrêmes semblaient bien
incertaines, les sanctions américaines ayant bloqué l’accès de la Russie non
seulement aux technologies et équipements, mais aussi aux crédits nécessaires
pour finaliser ce projet. Les compagnies chinoises y ont vu une opportunité
d’augmenter leur présence dans cette région stratégique et de mettre en valeur
leurs compétences techniques et industrielles. La China Offshore Engineering
Company a fabriqué 36 modules pour l’usine de gaz du site Yamal, tandis que la
CNPC Offshore a conçu et produit les différents équipements pour les docks du
port et les méthaniers. En parallèle, les banques chinoises Export-Import Bank
of China et China Development Bank ont accordé au projet une ligne de crédit de
12 milliards de dollars, ce qui a permis de livrer le Yamal LNG à temps et
globalement en respectant le budget initial. Pékin s’intéresse aussi à
plusieurs projets associés à l’exploitation de cette voie polaire, dont la
construction du chemin de fer de Belkomur qui relierait Arkhangelsk à la
Sibérie occidental, et la mise en valeur du gisement de gaz naturel sur la péninsule
de Gydan, dans la mer de Kara, qui devrait à terme produire autant que Yamal
LNG. Moscou et Pékin ont donc réussi leur pari de coopération dans le
développement de l’Arctique russe. Toutefois, tout comme dans le cas de la BRI,
d’importantes divergences de vues semblent en menacer l’avenir. En Russie, la
réalisation du projet Yamal LNG est présentée avant tout comme une réussite
nationale, même si la Chine et la France y ont beaucoup contribué, une réussite
qui permettra d’améliorer les perspectives de l’économie ruse affaiblie par les
sanctions occidentales. Elle est aussi considérée comme une victoire
stratégique russe afin de renforcer sa
position sur le marché mondial du gaz et d’asseoir sa place d’acteur incontournable
dans l’Arctique. A Pékin, le projet Yamal LNG est perçu comme un symbole du
savoir-faire des compagnies chinoises, capables de développer et de produire
les équipements sophistiqués que l’industrie russe ne peut pas fournir, faute
d’expertise technologique. Le succès du projet devient ainsi une illustration
des capacités d’adaptation et d’invention de la Chine dans les conditions
extrême de l’Arctique et confirme le bien-fondé de ses ambitions dans cette
région polaire.
L’unité apparente de Moscou et Pékin semble désormais trancher fortement avec la désunion du G7 minée par les actions unilatérales du président américain en matiére de coopération économique et diplomatique avec ses alliés occidentaux. Ce tandem sino-russe, qui semblait à ses débuts n’être qu’une stratégie temporaire, paraît désormais plus solide. Toutefois, les perspectives futuristes des deux pays dépendent de la conjoncture internationale et les défis définis sur le terrain.
MOHAMMED
CHERIF BOUHOUYA
L'un des résultats les plus surprenants du rapprochement sino-russe est l'adhésion de plus en plus de Moscou au projet chinois "Belt and Road Initiative ( BRI) qui vise à créer un réseau d'infrastructures terrestres et maritimes afin de relier la Chine à l'Europe occidentale. Pour les américains et leurs alliées, la guerre froide et belle et bien déclarée.
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