vendredi 10 février 2023

 GEOSTRATEGIE / LES NOUVEAUX ENJEUX DES ARMES HYPERSONIQUES

Depuis 1990, la tendance générale est indéniable : Les géants nucléaires désarment partiellement. Le nombre des têtes nucléaires diminue. Pourtant l’angoisse du surarmement cède la place une obsédante inquiétude : la prolifération qui résulterait d’un trafic clandestin d’armes russes mal gardées vers des organisations terroristes ou des perturbateurs étatiques. Cette préoccupation a été renforcée après les expériences indiennes et pakistanaises de 1998, le nombre des États nucléaires passant de cinq à sept, tandis que plane sur le Proche-Orient le risque du nucléaire israélien.



La déprolifération verticale est due à des réductions bilatérales américano-soviétiques, suivies de réductions unilatérales proportionnées par les autres puissances nucléaires. La Chine se singularise à cet égard, car elle a d’autres préoccupations.

ARMES STRATÉGIQUES

En 1990, il existait environ 25 000 armes nucléaires stratégiques américaines et soviétiques. L’accord informel entre George W.Bush et Poutine de l’automne 2001, en pleine guerre afghane, suggère à une date indéterminée de réduction à 2500 pour les États-Unis et 1700 pour la Russie. Je doit rappeler pour une appréciation rationnelle de l’affaire qu’une seule de ces charges dégageant une énergie de 500 kt. Par ailleurs, les 400 armes françaises, 300 britanniques et 300 chinoises, soit un total de 1000, représentent à peine 5% des arsenaux américano-russes existants. Le nombre des armes tactiques, couvert par un secret encore plus épais, ne peut faire l’objet que d’estimation qui les situent autour de 20 000. Concernant le volume des armes tactiques, le paradoxe des armes nucléaires est que le meilleur réceptacle des matières de qualité militaire ( U 235 ou Pu 239 ) est l’arme elle-même. A l’opposé, la prolifération dite horizontale suggère une tendance inverse : le nombre des États nucléaires augmente. L’Inde et le Pakistan ont mené des essais en 1998, sans que l’on sache exactement combien d’armes ils détiennent. Israël est souvent taxé d’une centaine d’armes nucléaires clandestines. Pour le reste, les ambitions nucléaires sont limitées à quelques pays comme l’Iran, la Corée du Nord. Ces États sont signataires du traité de non-prolifération ( TNP ) de 1967, reconduit en 1995 pour une durée illimitée. Leurs installations nucléaires déclarées sont donc soumises aux controles très rigoureux de ( AIEA ). Toujours possible, la fabrication clandestine n’est certes pas une mince affaire. Reste alors l’acquisition par le trafic. L’arsenal russe n’est-il pas depuis dix ans l’objet de nombreuses convoitises ? La bombe pakistanaise n’est elle pas disponible pour tous les terroristes ? Les médias sont chroniquement agités par des rumeurs qui, à ce jour, se sont révélées infondées. Car l’arme nucléaire, très complexe, d’un emploi malaisé se prête mal au terrorisme. Les candidats au trafic sont tombés dans les filets et autres pièges de services secrets qui ont su coopérer efficacement à l’échelle mondiale.

LES MISSILES / L’AUTRE MOTEUR DE LA COURSE AUX ARMEMENT

Le principe est celui d’une munition aérienne sans pilote. L’expérimentation en fut faite durant la Seconde Guerre mondiale par les Allemands avec les VI et les V2. Mal contenue, la prolifération de ces systèmes constitue un des principaux moteurs de la course aux armements du XXI siècle. La missilerie hypersonique a, depuis quelques années, connaissent clairement une prolifération à travers le monde. Que ce soit dans les débats en relations internationales, en études stratégiques ou même en ingénierie, elle est souvent présentée comme un game changer causant une rupture dans les équilibres militaires. Un missile est qualifié d’hypersonique lorsqu’il remplit deux conditions. La première est sa vitesse, supérieure à Mach 5 ( plus de 6000 km/h). La deuxième est sa manœuvrabilité, le missile ou sa charge ayant une trajectoire plus ou moins imprévisible dans sa progression vers l’objectif. Cette caractéristique distingue un engin hypersonique de missiles à longue portée plus classiques, qui peuvent certes atteindre et dépasser les Mach 5, mais dont la trajectoire est balistique ou quasi balistique. Cette manœuvrabilité rend plus complexe une tentative d’interception. Il existe deux grandes catégories de systèmes hypersoniques :

le planeur ( HGV – hypersonic glide vehicle, propulsé par un booster qui lui confère son énergie. Une fois largué à haute altitude, il surf sur les hautes couches de l’atmosphère, réduisant la prédictibilité de sa trajectoire.

Le missile de croisière ( HCM – hypersonic cruise missile), également propulsé par un booster, qui lui confère une vitesse permettant ensuite de lancer un statoréacteur classique ou supersonique assurant ensuite une propulsion continue. S’il évolue également à relative haute altitude, le missile de croisière est aérobie.

Comme souvent lorsqu’il est question de systèmes techniquement avancés, les vertus révolutionnaires de l’objet sont souvent exagérées ; tout comme la finalité opérationnelle d’une innovation peut, paradoxalement, être mal comprise. En réalité, les systèmes hypersoniques qu’ils s’agissent des planeurs ou des missiles de croisière ne sont que les produits d’une continuité. Les missiles balistiques et de croisière n’ont rien de neuf, mais il faut constater que les systèmes destinés à les intercepter ont connu des évolutions hors de contrôle ces dernières années. C’est dans ce cadre qu’un missile hypersonique est intéressant : ce qui le distingue des engins classiques est une trajectoire imprévisible pour les systèmes de défense. En cela, le terme hypersonique est partiellement trompeur : s’il fait intrinsèquement référence au facteur vitesse, ce qui est parfois vrai, son avantage se trouve ailleurs.

LES MISSILES HYPERSONIQUES


Les premiers systèmes qui apparaissent sont liés à la dissuasion nucléaire. La Russie et la Chine travaillent ainsi rapidement sur des planeurs afin de contrer le système antimissile américain mis en place depuis les années 2000. Pour Moscou et Pékin, les systèmes hypersoniques sont une barrière de réassurer le dissuasion, qui dépend de la certitude que les frappes nucléaires atteignent effectivement leur cible. Au demeurant, plusieurs États s’engagent également dans cette voie apocalyptique : pour la France, le futur missile ASN4G, qui va remplacer les missiles ASMP-A de l’armée de l’air et de l’espace, doit accroître la probabilité d’une frappe. La frappe conventionnelle sur les cibles à haute valeur ajoutée. De ce point de vue, ces systèmes ouvrent des nouvelles technologies opératives et tactiques. Dans le cas des programmes américains ou japonais cette fois, il s’agit de pouvoir brusquer le tempo opérationnel, en traitant une cible dés sa détention, en prenant appui sur la portée et la vitesse des systèmes hypersoniques. Une troisième fonction est le combat antinavire. La Russie a été la première à s’engager sur cette opportunité avec le missile ( 3M22 Zircon) un missile de croisière hypersonique ( HCM) d’une portée estimée de 800 à 1000 km et qui pourrait atteindre Mach 7 ou 8. Tiré depuis des bâtiments de surface ou des sous-marins, ses fonctions sont en réalité plus diversifiées. D’une part, ses essais ont démontré qu’il pouvait être utilisé contre des cibles statiques au sol et doté d’une charge nucléaire ou conventionnelle d’autre part. La Chine développe aussi des systèmes de frappe antinavires, et en octobre 2019, lors du défilé marquant le 70 anniversaire de la République de Chine, des véhicules militaires transportent pour le première fois des missiles hypersoniques DF-17. Muni d’un transporteur furtif et capable de frapper une cible à 7000 km/ heure, ce missile serait prioritairement conçu pour pénétrer la coque renforcée des navires de guerre tels que les porte-avions. et les États-Unis se dirigent eux aussi vers cette option.

UNE ARME DE PUISSANCE ET DE SUPRÉMATIE

Les systèmes hypersoniques, dans leurs types et leurs fonctions, connaissent clairement une prolifération à travers le monde, ce qui en fait un marqueur de puissance technologiques. Concernant la frappe nucléaire, ces systèmes apportent des avantages en termes d’assurance de la frappe, mais ce ne sont pas quelques planeurs hypersoniques qui changeront la donne pour les États disposant déjà de plusieurs milliers de têtes nucléaires. Pour les frappes conventionnelles, contre des cibles terrestres ou navales, la réponse est encore plus nuancée. L’efficacité des missiles hypersoniques va certes dépendre de leur degré de maturation technique, mais surtout de facteurs autrement plus complexes, tant techniquement que militairement. Toucher un navire à 1000 km impose de disposer d’un réseau de capteurs autre que celui du navire ou du sous-marin lanceur, ainsi que de systèmes de traitement de l’information adaptés. Or, cela implique des radar de reconnaissance océanique, liaisons satellitaires sécurisées et postes de commandement interarmées fonctionnels. Au regard de ces seuls critères, l’aptitude du missile russe Zircon à être engagé dans des scénarios antinavires peut être remise en question. Cette question de l’environnement militaire dans lequel va s’insérer un système hypersonique est tout aussi importante pour les engins de frappe terrestre. Pour les américains, les différents systèmes en cours de développement vont être utilisés dans une vision dite multi -domaine. Une vision d’utilisation qui pourrait voir le pilote d’un appareil de combat ou de drone commander le lancement d’un missile depuis une batterie au sol, un autre avion ou un bâtiment de la marine, de façon à ce que la frappe se produise quelques minutes plus tard. Arriver à ce progrès impose un commandement doté d’une intelligence artificielle qui décidera  que c’est tel missile de telle batterie qui sera lancé ou encore de personnel formé à une doctrine n’existant pas encore.


Si les États-Unis affichent un certain retard dans leurs essais de missiles, d’autres États sont bien moins avancés qu’eux en ce qui concerne le cadre technique, procédurier et doctrinal dans lequel les capacités seront mises en œuvre. Au delà, plusieurs États comme la France, la Grande-Bretagne, l’Australie et la Chine exploitent déjà des systèmes de défense contre les hypersoniques.

MOHAMMED CHERIF BOUHOUYA

A retenir 

Destiné à la marine russe, le missile Zircon peut atteindre la vitesse de Mach-8 et être mis en service aussi bien par une plateforme de surface que par un sous-marin nucléaire lanceur de missiles de croisière. Fin 2021, le Président russe déclarait au sujet des essais menés avec le missile hypersonique Zircon qu'ils constituaient un grand événement et une avancée substantielle capable d'améliorer significativement les capacités de défense du pays. Le premier test d'un missile Zircon a été effectué en janvier 2020 depuis la frégate Amiral Gorchkov dans le mer de Barents, en ciblant un terrain militaire à plus de 500 km de distance. 


































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