mardi 16 mars 2021

GÉOPOLITIQUE/ LA RUSSIE ET LES EUROPÉENS :  LE RETOUR DU REFOULÉ

Un quart de siècle après l’effondrement de l’URSS, l’espoir de voir une relation fondée sur le partage de valeurs européennes définies depuis Bruxelles semble être devenu un objectif chimérique et inatteignable. A la méfiance ont d’abord et progressivement succédé l’incompréhension et le désenchantement entre les deux partenaires sous Vladimir Poutine, entre réaffirmation de la puissance russe et dilatation du projet européen dans l’ancienne zone d’influence soviétique.

Passées de la méfiance à l’hostilité, les relations entre la Russie et l’UE sont au plus bas. Alors que les divergences sur l’attitude à adopter vis-à-vis de Moscou émergent parmi les Etats membres, les oscillations déstabilisantes des Etats-Unis pourraient constituer un facteur de rapprochement russo-européen ? Depuis 2014 et la guerre d’Ukraine, la dégradation des relations à laquelle nous avons assisté montre l’instabilité d’une forme d’hostilité réciproque. Poutine étant considéré comme le responsable principal du vote lors des élections américaines, du Brixit, de la montée des partis dits « populistes en Europe où l’extrême droite », ou encore de l’indépendance de la Catalogne, la Russie devenant la figure de l’affirmation de valeurs conservatrices, mêlant patriotisme, souveraineté, valeurs sociales traditionnelles chapeautée par une dictature assourdissante.

LES RELATIONS DISTENDU ENTRE L’UE ET LA RUSSIE

Les liens avec les Etats européens semblent moins cruciaux pour la Russie que pour le passé, notamment en raison du poids déclinant des Européens et de la nécessité de porter son attention sur des pays émergents. De fait, l’attention de Moscou se porte sur la Chine, et sur l’Inde, son principal marché militaire. Aussi, la Russie revendique avec arrogance à des alliances alternatives aux structures transatlantiques, de son rôle au sein de l’Organisation de la Coopération de Shanghai en matière sécuritaire au regroupement économique des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). Dans un monde post-occidental, le réalisme implique de diversifier ses partenaires afin de peser sur l’échiquier mondial. Au-delà de ces postures, Russes et Européens semblent actuellement diverger sur leurs visions : alors que la Russie a eu pour obsession de contrôler un énorme espace, l’Europe s’est faite forte de tourner le dos à une histoire violente. Deux grammaires des relations internationales se font face, antagonistes : d’une part, une vision russe se fondant sur la multipolarité, une approche inspirée du concert des nations du XIX siècle ; d’autre part, une vison européenne  s’appuyant sur la défense des institutions multilatérales, souhaitant préfigurer une gouvernance mondiale qui ne serait pas centrée autour des grandes puissances. Les deux approches peuvent déboucher sur des impasses : dans un monde multipolaire, la Russie ne peut être considérer comme un pôle autonome à l’égard des Etats-Unis et de la Chine, tandis que la gouvernance voulue par les Européens subit des attaques diverses liées à la montée des dirigeants puissants, comme Erdogan, Poutine,  et Xi Jinping.  

L’UE EN ORDRE DISPERSÉ FACE A POUTINE

Depuis l’élection de Poutine, la politique à l’égard de la Russie fait l’objet de nombreux débats parmi les Européens. Au niveau des institutions européennes, c’est à Saint-Pétersbourg, que sont définis les (quatre espaces communs) identifiés afin de structurer leurs coopérations sectorielles, en matière de commerce, de visa et de lutte contre la criminalité organisée, de sécurité extérieure et de culture. Malheureusement, ce projet a constitué une occasion manquée dans les relations entre l’Union européenne et la Russie. Depuis toutes les institutions européennes peinent à définir une stratégie de long terme, étant plus tributaires des divisions selon les Etats et les secteurs concernées. Outre les perspectives Polonaise et des Etats baltes d’un côté, hostile à la Russie qui constitue pour eux une menace existentielle, et de l’autre, les pays proches de la Russie comme Chypre ou la Grèce, il existe tout une gamme de positions, notamment avec les pays visant un partenariat stratégique avec la Russie, comme la France, l’Allemagne, l’Espagne, et l’Italie. A fin de désamorcer les convergences, le président Macron a ainsi fait part de son souhait d’arrimer la Russie à l’Europe et de ne pas laisser la Russie se replier sur elle-même. Si les Européens ont tenté de développer une approche commune para port à la Russie, les équilibres ont évolué ces dernières années au gré du succès des partis « dits populistes » en Europe, notamment en Autriche, l’Italie, ou en Hongrie. Au fil du temps, nous avons observé que ces mouvement se révèlent être spontanément plus proche des positions russes sur plusieurs points ; Ils sont notamment favorables à la levée des sanctions contre la Russie prises à la suite de l’annexion de la Crimée. La carte de l’Europe se redessine : le groupe de Višegrad (Pologne, Hongrie, République Tchèque, Slovaquie, si soudé sur la migration, diverge sur la politique à l’égard de la Russie, la Pologne affirmant ostentatoirement son hostilité vis-à-vis de Moscou, quand la Hongrie souhaite des relations plus pragmatiques sur le plan économique et politique. A travers cette stratégie, les Européens doivent se doter d’une véritable Ostpolitik permettant de renforcer leur cohésion et de promouvoir au mieux leurs intérêts. La doctrine européenne doit reposer sur une identification précise, dépassionnée et objectif des réalités structurelles des deux ensembles géopolitiques. L’UE ne peut se retrouver sur une position commune ni dans un front anti-russe, ni dans une politique d’apaisement. En somme, s’est l’objectif qui a était pris dans les coulisses occultes des européens. Aux différences de vision du système international s’ajoute, depuis un certain nombre de griefs réciproques. Durant la première décennie post-soviétique, et après une courte période de concorde, les premiers nuages s’amoncellent : la Russie s’est estimée menacée par l’élargissement de l’OTAN en Europe centrale et dans les pays Baltes. Le conflit en Tchétchénie a fait resurgir l’image d’un pays où les droits des minorités sont exposés à des crimes collectifs dans l’opinion internationale. La guerre du Kosovo de 1999, déclarée en dehors du système de l’ONU, a suscité une vive réaction chez les élites stratégiques russes, qui y ont vu une attaque directe du principe de souveraineté et une preuve de l’agressivité américaine. Ces premiers désaccords, renforcés par un effondrement massif du système, ont ouvert la voie à l’avènement au pouvoir en 1999 de Vladimir Poutine, qui s’est affiché, dans un premier temps, comme un pro-européen modéré; Cet ancien membre du KGB a d’abord véhiculé la paix afin de se transformer en tyran. Il devient de plus en plus critique non seulement de l’OTAN, mais aussi de l’UE suite aux révolutions de couleur, en Géorgie en 2003, puis en Ukraine en 2004. Pour les européens, le fossé de l’incompréhension s’élargit : ces mouvements socio-politiques ont été décrits dans l’opinion russe comme une vaste opération de la CIA souhaitant renverser des pouvoirs favorables à la Russie. En revanche, la Russie confirme son retour sur le plan militaire : le conflit Géorgien, l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie, tout en déployant ses mercenaires de groupe Wagner en Ukraine, la Syrie, le Soudan, la Libye, la Centrafrique, le Venezuela, le Mali, le Madagascar et le Mozambique.

A l’heure des bilans, il faut dresser le constat d’un éloignement général entre Russes et Européens du fait de l’absence de perspective communes, ainsi que d’un rapprochement partiel entre le pouvoir russe et certains groupements politiques européens sur une ligne plus favorable à la Russie. Sans irénisme naïf ni hostilité de principe, les Européens doivent désormais prendre leur destin en main.

MOHAMMED CHERIF BOUHOUYA

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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