GÉOPOLITIQUE/ L’OFFENSIVE ÉVANGÉLIQUE
FACE AU DECLIN DE L’EGLISE CATHOLIQUE
Confrontée
à la percée des évangéliques sur la scène mondiale, notamment dans ses prés
carrés Sud-américains et africains, l’église catholique guidée par le pape
François n’arrive plus à échapper à cette lame de fond. Les réseaux
évangéliques, d’une grande diversité d’accents, développent aujourd’hui des
dynamiques d’influences multipolaires. Une peau de chagrin catholique face à
l’offensive évangélique. C’est par dizaines de millions que les fidèles ont
quitté la messe afin de rejoindre les cultes évangéliques.
Le protestantisme évangélique, né à partir du XVI siècle dans le sillage de la réforme radicale, se caractérise par l’accent sur la conversion individuelle, la centralité de la Bible et du Christ, et une dynamique militante fondée sur le primat d’assemblées locales reliées en réseaux souples, sans institution faîtière. A l’inverse, le catholicisme privilège l’inscription dans une tradition séculaire, l’encadrement institutionnel et territorial. Il défend aussi la centralité du Magistère et du pape de Rome. Comment s’entendre entre chrétiens, sur des bases si éloignées ou les fissures restent fortement dominantes au sein de la même croyance ? Pour le pape, ces relations ne vont pas de soi. Les 630 millions qui peuplent aujourd’hui la planète, représentent pour l’église catholique, un défi de taille. Cette déchirure, nous plonge dans l’axe sunnite-chiite qui gangrène le monde arabo-musulman non seulement sur le plan religieux, mais également sur l’échiquier géopolitique et géostratégique. En Amérique du Nord, vivier démographique protestant, l’évangélisme nord-américain, riche et puissant, n’a pas son pareil. Il regroupe 90 millions de fidèles, dont 99 millions aux Etats-Unis. A première vue, la démographie catholique américaine, réputée plutôt florissante, ne semble guère affectée par cette vitalité évangélique. Prés d’un quart de la population états-unienne ne se rattache-t-elle pas, à l’église romaine. Le colosse catholique nord-américain s’avère fragile qu’il n’y paraît. Les Latinos massivement catholiques donnent à l’église un certain espoir, mais au bout de quelques années, ou à la deuxième génération, ces Latinos se tournent en masse vers l’évangélisme. La part des catholiques parmi les adultes Latinos aux Etats-Unis aurait baissé depuis 2010. En Europe, on compterait environ 27 millions d’évangéliques. C’est peu, mais leur nombre progresse, y compris par la conversion d’anciens catholiques. En France, on serait ainsi passé de 60 000 évangéliques à 80 000. Des pays comme la Chine (65 millions d’évangéliques) , le Nigéria ( 60 millions), le Brésil ( 50 millions) , ou le Kenya ( 25 millions) redessinent le futur géant évangélique. L’Amérique du Sud en constitue l’exemple le plus saisissant. En soixante ans, du Mexique à la Patagonie, c’est par dizaines de millions que les fidèles ont quitté les bancs de la messe pour rejoindre les cultes évangéliques. Au Brésil, le dernier recensement, nous apprend que la population évangélique s’est accrue de 17 millions. A cette vitesse, la majorité de la population Brésilienne sera protestante évangélique d’ici 2050. En Argentine, pays d’origine du pape François le scénario s’est finalement aligné sur celui du grand Brésil voisin.
CONVERSION MASSIVE A L' ÉVANGÉLISME ET
LE DÉFI DU VATICAN
De larges
pans de la population catholique d’Amérique Latine, et des millions
d’ex-catholiques africains ou asiatiques ont rejoint l’évangélisme. Parmi les
facteurs d’explications y compris en matiére de doctrine de cette attractivité,
quatre retiennent l’attention de Rome. Le premier point fort de l’offre
évangélique est un rapport plus égalitaire à l’autorité. A l’inverse d’une
hiérarchie catholique verticale, parfois très liée au pouvoir politique, les
réseaux évangéliques fonctionnent sur un modèle qui part du bas. Le pasteur est
souvent élu par les fidèles. Le caractère démographique des groupes
évangéliques est fortement apprécié par les convertis, car chaque voix compte
et l’initiative individuelle trouve un espace de réalisation. Au sein des
églises locales, les individus prennent leur propre contrôle de leur vie, et
d’avoir voix au chapitre des décisions locales, dans un cadre communautaire où
(le pair l’emporte sur le père autoritaire.) Au second atout qui séduit les
catholiques déçus par le Vatican est la part donnée aux laïcs, ainsi qu’une
plus grande proximité clergé-fidèles. Les pasteurs n’ont, en principe, pas le
statut du prêtre. Et le partage de la parole enseignante inclut de nombreux
profils, y compris des femmes. Mariés, pères ou mères de famille, les pasteurs
ont les mêmes difficultés que leurs fidèles en matiére de sexualité, de vie de
couple, et d’éducation des enfants. En somme, les fidèles se sentent mieux
compris qu’en face d’un prêtre célibataire en soutane. Le troisième atout est la liberté locale
donnée à la congrégation. Comme les Eglises évangéliques dépendent beaucoup de
leurs fidèles, elles écoutent l’assemblée ; comme la légitimité vient
souvent d’en bas, ils se sentent plus libres, en dépit d’une théologie réputée
orthodoxe et conservatrice. Des femmes prophétesses et pasteurs, des enfants
qui prêchent, des mobilisations écologistes, de la danse Liturgique, tout est
permis y compris le pire. Cette liberté qui plait, suscite désir et envie, loin
du cadre normé de la messe catholique romaine. La quatrième force des
évangéliques est l’accent sur la réussite, la prospérité et le changement. A
rebours des théologiens qui dénoncent, les coudes appuyés sur leur confortable
bureau d’cajou, « la théologie de la prospérité », beaucoup de
pasteurs aux pieds nus valorisent, devant leurs assemblées pentecôtistes et
charismatiques, le succès par le travail, l’ascèse, la discipline. Les
évangélistes entendent actualiser l’hypothèse de « Max Weber », et
conjuguer éthique protestante et esprit du capitalisme, pour la plus grande
réussite des fidèles ?
LA VISION
VATICANE FACE A L'
Devant l’offensive évangélique, la réponse vaticane a longtemps tergiversé. En Amérique Latine, ni la théologie de la libération, ni la mise au pas de celle-ci n’ont changé la donne. Dans les relations, le Vatican a d’abord favorisé l’option du strapontin, voire les dénonciations des sectes évangéliques, comme Benoît XVI pouvait encore être tenté de le faire. Désormais, tout cela est terminé. L’Eglise romaine est passée du dénigrement à une nécessaire remise en cause, d’où le pape a imposé son propre paradigme. Après la condescendance et la méfiance, voici le temps venu du dialogue d’égal à égal et de l’influence réciproque. Il faut reconnaître qu’aucun pape avant lui (François) n’avait acquis un tel défi face aux évangéliques. Sachant aussi qu’il est le premier pontife à disposer du savoir et des éléments de langage pour poser les jalons d’une adaptation catholique nécessaire. L’axe primordial de la contre offensive vaticane joue sur le charisme et la dimension de la foi. Le pape a compris que l’identification à une personne est plus payante que l’adhésion à une institution. Depuis son élection, il ne cesse d’inviter les cardinaux, évêques, prêtres à incarner davantage l’Evangile. Le buzz généré par la prière « d’exorcisme » spontanément faite par le pape François en imposant les mains à un malade, témoigne de l’intérêt suscité par cette sensibilité, en phase avec la spiritualité charismatique –pentecôtiste tournée vers l’impact individuel et la délivrance surnaturelle. Ses pratiques charlatanesques d’un autre temps, nous renvoie directement aux abysses de l’histoire de l’Eglise du moyen âge. Un autre volet de la réponse vaticane aux conquêtes évangéliques est une simplification de l’appareil clérical. Aucune révolution en cours, mais une consigne : faire sobre. Armé d’une méfiance presqu’instinctive pour des rouages hiérarchiques, le pape a parfaitement compris que la lente démocratisation des sociétés du Sud (Amérique Latine, Afrique, Asie) transpose, au sein de l’Eglise, un besoin de proximité et de simplicité. L’évêque, vu comme prince de l’Eglise, laisse place au prêtre serviteur. Atténuant du même coup les effets de l’un des produits d’appel proposé par les évangéliques, à savoir un pastorat proche des fidèles. Poursuivant les institutions de la nouvelle évangélisation, le pape impulse depuis le Vatican, une forte dynamique d’annonce « kérygmatique ». Le kérygme, à savoir le cœur du message chrétien centré sur le salut en « Jésus-Christ », devient central. Dans son homélie à Rome, il appelle ainsi chaque croyant à devenir un missionnaire du Christ. Un slogan typiquement évangélique ? Il souligne que le but n’est pas de socialiser, mais de (proclamer le Royaume de Dieu), tâche urgente où il n’y a pas de temps à perdre. Des exhortations qui, sur le terrain, se traduisent en politique de reconquête, sans plus tenir pour acquis que l’étiquette catholique cache un chrétien convaincu. Ce faisant, l’Eglise apprend à réoccuper un créneau presque monopolisé par les évangéliques, spécialistes de l’évangélisation directe. En somme, tout porte à croire qu’on a compris, au Vatican, que la diplomatie Romaine ne pouvait plus se permettre de prendre à la légère les acteurs évangéliques, sous le prétexte qu’ils ne disposent pas de représentations indiscutables comme les patriarches orthodoxes ou le recteur de l’université d’AL-Azhar. En matiére de diadoque avec les protestantismes, les Luthériens et réformés, portés par des théologiens en vue, se sont longtemps taillé la part du Lion. C’est la fin. Les évangéliques ont pris le relais au menu des priorités vaticanes ; même si la diversité extrême de ce christianisme déroute la culture et la tradition romaine, habituée à la centralisation. L’Eglise catholique est depuis un demi-siècle très investie dans des espaces d’échanges, et la tendance s’accentue.
Le Vatican rêve-t-il d’une synthèse des contraires, le décentrement pluriel évangélique venant vivifier la centralisation romaine ? C’est sans doute aller beaucoup trop vite en besogne, même si les paradoxes d’un pontificat sont actuellement vulnérables, le monde selon le pape François est ailleurs. La question n’est plus dans l’ordre du dialogue catholique-évangélique, mais la montée fulgurante de l’Islam sunnite qui se propage à travers tous les continents.
MOHAMMED
CHERIF BOUHOUYA
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