mardi 5 janvier 2021

 GÉOPOLITIQUE/ MONARCHIES DU GOLFE : UN MARCHE D'ARMEMENT IMMENSE SANS ARMÉES ET DES GUERRES PAR PROCURATION

Au- delà des richesses immenses liées aux hydrocarbures et des fonds souverains se cachent des menaces importantes, mais souvent méconnue  lorsqu’il s’agit du golfe-Arabo-Persique : Les questions des politiques de sécurité. Depuis plus de deux décennies, l’activisme belliqueux de certains pays, comme l’Arabie-Saoudite, contre l’Iran, de même, les dépenses militaires colossales de Riyad, dessinent les contours d’une course régionale aux armements, notamment depuis les relations avec Israël. Quel rôle jouent les armées du Golfe dans la stabilité de la péninsule ? Dans quelle mesure un conflit pourrait-il impliquer les Occidentaux, à commencer par la France, le Royaume-Unis, l’Allemagne et les Etats-Unis ?


Cette crise existentielle a exacerbé les craintes sécuritaires des monarchies du CCG vis-à-vis de l’Iran. Les monarques perçoivent en effet l’ancien Empire Perse comme animé d’un dessein hégémonique au sein de la péninsule. Cette perception peut se traduire à travers la compétition idéologique qui se joue historiquement entre les monarques et Téhéran, déclenchée par la révolution de 1997. D’un côté se trouverait le messianisme chiite, avec pour objectif la propagation du soulèvement islamique à l’ensemble du Moyen-Orient ; de l’autre, le conservatisme sunnite wahhabite qui entendrait maintenir le statu quo. A cette rivalité idéologique s’est ajouté une appréhension des monarchies arabes vis-à-vis du développement du programme nucléaire Iranien, mais aussi des progrès réalisés par le pays en matiére de missiles balistiques et de croisière pouvant atteindre les centres de pouvoir de la péninsule Arabique. Par ailleurs, les dirigeants de petits Etats, tel que Bahreïn, Koweït, Oman, Emirats arabes unis et le Qatar, craignent les effets des stratégies Iraniennes de déstabilisation de leurs régimes. Depuis sa fondation en 1971, la fédération dirigée par Abou Dhabi est en conflit ouvert avec l’Iran sur la souveraineté des îles Tonb et d’Abou Moussa, occupées militairement par Téhéran, d’où 40%  des hydrocarbures mondiaux transitent par le détroit d’Hormoz.  La famille régnante à Bahreïn, a reçu le soutien du CCG  afin de mater les contestations populaires, en partie parce qu’elle craignait un coup d’Etat orchestré par les Mollahs. Indéniablement, la menace iranienne structure les politiques étrangères et de défense de la région. De prime abord, l’Iran dispose d’une supériorité numérique vis-à-vis de son grand rival, Riyad, en ce qui concerne la taille des armées ( 534 000 hommes contre 233 500 ) et le nombre de chars ( 1700 contre 600) et d’avions (345 contre 299 de combat). Néanmoins, à un niveau qualitatif, la réalité de cette menace semble bien exagérée, la majeure partie des capacités militaires iraniennes étant constituées d’équipements obsolètes achetés sous le shah (1941-1979). Qu’importe ces éléments de retenue, la menace iranienne irrigue les scénarios d’engagement des forces des monarchies du Golfe et les stratégies d’acquisition d’armement qui en découlent.

UN MARCHE LUCRATIF ET DES COMMANDES DES ARMÉES DE L’OTAN

Les monarchies du CCG représentent l’un des marchés de l’armement les plus lucratifs de la planète. Depuis deux décennies consécutives, la région du Moyen-Orient attire environ la moitié des transferts d’armes mondiaux, et ce, principalement en raison des politiques d’acquisition des Etats du Golfe. Ainsi, pour l’année 2018-2019,  les membres du CCG consacraient en moyenne 6% de leur PIB au domaine de la défense, contre 3% pour les autres pays dans le monde. A l’échelle régionale, l’Arabie-Saoudite, le Koweït et les Emirats arabes unis concentrent à eux trois 70% des dépenses de défense dans le Golfe, le royaume des El-Saouds en tête. Les autorités saoudiennes ont consacrés 12% de leur PIB aux dépenses militaires, soit 50, 13 milliards de dollars. Les Emirats-arabes unis se classent en deuxième position, avec 25 milliards de dollars. Parmi les principaux fournisseurs, on compte les trois grandes puissances militaires Occidentales (Etats-Unis, Royaume-Uni, France, Russie et actuellement Israël). Pour les puissances de l’OTAN, le Golfe constitue une destination clé depuis les années 1990. La fin de la guerre froide a en effet entrainé une baisse substantielle des commandes des armées de l’OTAN, forçant une contraction des ventes intérieures et un regroupement logique des industries Occidentales. Face à une compétition accrue sur le marché traditionnel, les grands groupes se sont donc tournés vers le CCG, une région où les budgets d’armement ne subissent pas d’assainissement depuis la guerre du Golfe. Pour les compagnies Françaises, le Moyen-Orient représente 30% de leurs débouchés à l’exportation, l’Arabie-saoudite et les Emirats arabes uni étant respectivement le premier et le quatrième pays destinateurs au monde de matériel de guerre. Des coutumes dans la passation des contrats existent : L’Arabie-saoudite, le Koweït et Bahreïn s’adressent d’abord à Washington, tandis que le Qatar et les Emirats arabes unis disposent de produits majoritairement d’origine Française, et que le Sultanat d’Oman a pendant très longtemps acheté quasi exclusivement de l’armement Britannique. Les Etats-Unis sont largement en tête, ayant obtenu pour prés d’un tiers de la valeur des commandes enregistrées. Celles-ci sont entrées dans le cadre des (Foreign Military Sales), permettant un suivi politique précieux. Le département de la Défense les passe ainsi aux industriels ou fait appel aux stocks de l’armée. De cette façon, il n’existe pas de relation contractuelle entre le fabricant et le client étranger. Washington donne sa garantie directe sur le contrat et le matériel vendu pourra bénéficier du soutien logistique des  armées américaines. Les Foreign Military Sales sont donc un outil politique redoutable : Les ventes sont étroitement conduites non pas par les industriels, mais par le « Pentagone », qui fait dés lors partie intégrante du dialogue stratégique entretenu entre les Etats-Unis et les monarques du Golfe. Toutefois, les ventes d’armes aux pays font traditionnellement l’objet d’intenses discussions entre l’exécutif américain et le Congrès concernant Israël. En effet, les parlementaires demandent des garanties au Pentagone afin de préserver la supériorité militaire israélienne dans la région, selon le principe «  du Competitive Military Edge ». Cet impératif contraint le département de la défense à ne pas transférer à un pays arabe de matériel de guerre plus avancé que celui transmis à l’Etat hébreu, dés lors ont, comprend mieux les nouvelles liaisons entre Israël et les monarques du Golfe, que ce soit sur le plan géopolitique et géostratégique. En somme, lorsque les sénateurs et représentant américains bloquent une vente d’armes, les monarchies du CCG se tournent alors vers Londres ou Paris. Les Saoudiens entretiennent ainsi  des liens solides avec les Britanniques notamment à travers le projet « Salam », lancé en 2007 et portant sur l’acquisition de 73 avions Typhoon. Pour sa part, la France a fourni à la monarchie des navires, des avions de combat ou encore du matériel de défense aérienne. Enfin, la Russie souhaite accroitre ses parts de marché dans le Golfe, les Saoudiens et les Emiratis étant intéressés par les systèmes de missiles sol-air de longue portée S-400 et S-300. Pour les monarchies du CCG, Moscou qui reste un fournisseur pour l’Iran et depuis la crise Syrienne ne favorisent pas un climat de confiance, ce qui a renforcé la polarisation entre, d’un côté, les monarques opposés au régime de Bachar et, de l’autre, une Russie défendant ce dernier. Par conséquent, les perspectives russes dans le Golfe semblent incertaines. Pour les analystes de la question, le spectre d’un scepticisme prône non seulement sur ces sommes faramineuses investies dans l’équipement militaire, permettent-elles pour autant de disposer de forces armées robustes, assurant in fine une fonction de dissuasion crédible face à la menace iranienne ? Autre question s’impose, les monarchies du Golfe s’ingèrent-ils dans des conflits par procurations comme en Syrie, en Libye, au Mali,  en Irak, au Soudan, ou encore au Niger et au Nigéria en passant par le Burkina Faso et toute la bande Sahélienne par la crainte du défi révolutionnaire au sein de leurs monarchies ?  En effet, les monarchies du Golfe éprouvent un sentiment de menace liée à un environnement régional non stabilisé et dépourvu de cadre de sécurité collective. On remarque pourtant que le fait de détenir des armements du dernier cri ne compense pas forcément des insuffisances notoires et souvent structurelles sur le plan technologiques  et  opérationnel. Les armées des monarchies du Golfe, sont amenées à évoluer dans un contexte stratégique régional qui s’inscrit dans une logique de rupture ou, à défaut, de forte incertitude.

L’INTERNATIONALISATION DE L’ARCHITECTURE DE SÉCURITÉ DANS LA PÉNINSULE

La logique sous-jacente de cette stratégie est que la stabilité de la région n’est pas seulement dans l’intérêt du CCG, mais également dans celui des puissances extérieures qui dépendent des ressources naturelles de la région. Exemple symptomatique, le Koweït a signé après la guerre du Golfe des accords de coopération militaire avec les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies et accueille  en particulier des forces américaines sur son sol. Les Emirats, ont signé des traités avec la France et le Royaume-Uni et abritent également depuis 2008 une nouvelle base militaire française à Abou Dhabi. Le Qatar quand a lui, dispose non seulement d’un accord de défense avec la France, mais héberge aussi deux basses américaines : à Al-Udeid, prés de Doha, siège de l’US Central Command d’où les guerres en Afghanistan et en Irak furent menées, et à Al-Sayliyah, qui accueille la plus grande base américaine de prépositionnement en dehors des Etats-Unis. Bahreïn bénéficie pour sa part de la présence dissuasive de la V Flotte de l’US Navy stationnée sur son territoire. Par ailleurs, quatre des six membres du CCG (Bahreïn, Emirats, Koweït et Qatar) font partie de l’initiative de coopération d’Istanbul (ICI), un partenariat créé avec l’OTAN en 2004. Cette stratégie des monarchies ne se limite pas aux Occidentaux, de plus en plus, les membres du CCG se tournent vers l’Asie pour diversifier leurs alliances. La Chine et l’Inde sont devenues des partenaires importants. La dimension militaire de ces rapprochements entre le Golfe et les puissances asiatiques reste modeste par rapport aux relations historiquement développées avec les membres de l’OTAN, mais, à long terme, ce mouvement dénote une volonté des monarchies de s’émanciper de la tutelle occidentale. En ce sens, on peut dire que pour les dirigeants du CCG, leur autonomie stratégique passe moins par le renforcement de leurs forces armées que par la diversification de leurs partenaires internationaux. La finalité des achats massifs d’armement pourrait donc être moins militaire pour garantir une capacité de dissuasion des forces du CCG, tout en entretenant des acheminements d’armes vers des conflits qui arrangent les intérêts stratégiques des monarques du Golfe. Cette incapacité du CCG à mettre en œuvre une architecture de défense collective crédible est due à de multiples raisons. La première a trait à la suspicion mutuelle qui imprègne les relations entre les monarchies qui se méfient les unes des autres. Ainsi ; l’activisme de Riyad sur les projets de renforcement de l’organisation régionale, avec par exemple, l’idée saoudienne d’une Union du Golfe devant remplacer, à terme, le CCG est appréhendé par les autres régimes comme une imposition des priorités du royaume des Al-Saouds à ses voisins plus vulnérables. Cette méfiance se traduit au niveau proprement militaire par une faible interopérabilité des armées entre elles. Des exercices communs, notamment dans le domaine naval, sont régulièrement organisés entre certains pays, mais de l’aveu de nombreux responsables dans la région, ceux-ci ont une valeur plus symbolique que réellement intégratrice. Au niveau capacitaire, les armements achetés par ces régimes sont fréquemment mis en service dans les armées sans prise en considération de leur interopérabilité avec les forces voisines. L’exemple le plus symptomatique est le domaine de la défense aérienne, dans lequel, en dépit d’une recrudescence d’achats de système par les pays, le CCG se montre incapable depuis vingt ans de mettre en place un organe collectif de commandement et de contrôle. Cet éparpillement est encore plus profond : au niveau national, les armées aériennes, navales, terrestres et gardes nationales sont faiblement intégrées entre elles. Cela résulte d’une relation mêlée de suspicion entre les monarques et les militaires, conduisant le pouvoir politique à pérenniser la faiblisse de ceux-ci afin d’éviter l’éventuelle émergence d’un contre-pouvoir. De même, les décisions en matiére de programmes d’armement ne sont pas prises par les officiers ou un service compétent, mais par les cours royales.

Ce climat interne de scepticisme, l’absence d’intégration régionale sont autant de facteurs qui affaiblissent la cohésion et donc la portée dissuasive des forces du CCG vis-à-vis de l’Iran. En d’autres termes, malgré l’ampleur des contrats d’armement signés par les monarchies du Golfe, leur faiblesse opérationnelle les empêche d’assurer leur autonomie stratégique, C’est pourquoi leur sécurité reste finalement dépendante de partenariats avec les puissances occidentales.  La modification des équilibres stratégiques au Moyen-Orient dans le contexte de la fin du monde bipolaire et les ambiguïtés de la nouvelle normalisation avec Israël peuvent changer l’équilibre des forces, non seulement au niveau Iranien, mais aussi dans tout le monde arabo-musulman. 

MOHAMMED CHERIF BOUHOUYA

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

MOHAMMED CHERIF BOUHOUYA

 

 

 

 

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