Dans le
milieu du XIX siècle, l’évangélisme
américain prolifère, puissant et missionnaire. Les campings religieux résonnent
de prêches enflammés et de conversions retentissantes. Confiant dans un « Dieu »
américain qui valorise, plus que tout, le bon sens du chrétien et le choix
personnel, l’évangélisme s’est gagné un univers a part du nouvel empire
états-unien, contribuant à la valeur ajoutée missionnaire de la destinée
manifeste. Ses logiques d’impact pèsent sur les enjeux géopolitiques, dans une
configuration décentralisée qui dessine une mondialisation discrète.
RACINES
DE L' ÉVANGÉLISME
Les
églises évangéliques sont nées sur le Vieux Continent. Elles s’inscrivent dans
la matrice des Réformes du XVI siècle, avec l’anabaptisme continental, groupes
de convertis qui rebaptisent à l’age de raison et le non- conformisme anglais
radicaux protestants en marge de l’église anglicane. Émiettées et
décentralisées, elles revendiquent un christianisme qui articule une relation
personnelle avec Jésus fondée sur le pardon et la foi, et construction
collective. Elles proposent, « urbi et orbi », une offre religieuse individualisante, fondée sur le choix
personnel, mais porteuse d’effets sociaux en raison de la dynamique militante
et prosélyte qui soude les fraternités électives évangéliques. L’objectif partagé : étendre le Royaume
de Dieu. Marginal et souvent persécuté à l’époque moderne ( du XVI au XVIII siècle),
cet évangélisme s’est peu à peu étoffé au fil des Réveils qui scandent l’histoire
du protestantisme, à partir de mouvements de conversions, pieux et fervents,
comme le baptisme et le piétisme ( XVII siècle), le méthodisme (XVIII siècle),
et enfin le pentecôtisme et le christianisme ( XX siècle). Pourquoi est-ce aux Etats-Unis qu’il trouvé
son premier bastion, sa Terre promise ? C’est que le déploiement
évangélique s’est heurté, en Europe, aux interdits posés par les oligopoles
religieux déjà en place. Un processus de confessionnalisation y a nourri,
depuis la fin du Moyen-âge, des églises d’Etats « tel prince, telle
religion ». Rien de tel outre-Atlantique,
en tous cas depuis l’indépendance des colonies américaines. Le mur de
séparation (Jefferson) entre églises et Etat a permis aux associations de
convertis évangéliques de prospérer sans entrave, jouant sur la culture pionnière,
entrepreneuriale et individualiste du nouvel Etat fédéral pour emporter des
parts de marché décisives sur la scène religieuse et culturelle. On remarque
souvent les évangéliques comme des exaltés, des chrétiens sans compromis, d’humeur
martiale (les soldats de Jésus). Mais la plupart du temps, cette image relève
davantage de l’idée reçue que de la réalité sociohistorique. Car le
protestantisme évangélique états-unien, qui comporte des millions de
pratiquants occasionnels, rompus au zapping ecclésial, a bâti son succès sur la
base d’une voie médiane entre le fondamentalisme pur et dur et le libéralisme
théologique.
FONDAMENTALISME
ET LIBÉRALISME
Trois
institutions parmi bien d’autres jouent un rôle particulier dans ce positionnement
sur la scène religieuse américaine puis mondiale. La première est l’Alliance
évangélique universelle, créée dés 1846 en Angleterre sous le non de World
Evangelical Alliance, puis très fortement relancée aux Etats-Unis en 1951 par
les théologiens Harold j. Ockenga (1905- 1985) et J.Elwin Wright (1890-1973)
sous le non de World Evangelical Fellowship. Focalisée autour des questions
missionnaires et de liberté religieuse, elle tient une grande part de son
rayonnement du poids de l’évangélisme américain. La seconde institution est la
National Association of Evangelicals « NAE ». Il s’agit du principal
carrefour évangélique aux Etats-Unis. Formalisée à Chicago en 1943, elle regroupe
la majorité des protestants évangéliques américains dans une structure fédérale
souple, mais très active, impliquée dans les débats religieux et sociaux.
Rangée sur une ligne politique plutôt conservatrice, elle s’est cependant
désolidarisée de la New Christian Right des années 1980-1990. La troisième
grande institution du dernier demi-siècle est un journal, le mensuel Christianity
Today. Fondé en 1956 sous l’impulsion de l’évangéliste Billy Graham et de son beau-père,
Nelson Bell (1894-1973), il constitue l’organe de presse majeur du courant
évangélique états-unien. Très sensible aux enjeux mondiaux, lue sur les cinq
continents, cette publication constitue la carte de visite internationale des
priorités géopolitiques de l’évangélisme américain. Missionnaires et engagées à
tous les échelons de la vie sociale, dotées d’une force de frappe de centaines
de salariés et de milliers de bénévoles, les méga-églises constituent des
relais d’influence pris très au sérieux par les autorités politiques.
LES AXES D'INFLUENCE DE ÉVANGÉLISME
A l’échelle
nationale comme au plan mondial, ces réseaux de convertis entendent faire la diversion.
Quatre axes d’influence font consensus : l’évangélisation, la liberté
religieuse, l’action humanitaire et la défense des valeurs démocratiques. Elle
passe par un réseau mondial de 665 millions, nourri par milliers de
missionnaires et un prosélytisme interpersonnel qui fait mouche : l’évangélisme
est une religion conquérante qui remodèle le paysage religieux mondial, y
compris en Chine. Le nouveau colosse sino-évangélique affiche 70 millions de fidèles
au compteur, et nourrit le mouvement « Back to Jerusalem », effort
chinois visant, à terme, à convertir toutes les populations entre Beijing et
Jérusalem via une armada de 100 000 missionnaires et en finir surtout avec la minorités musulmanes. Dans de nombreux dossiers géopolitiques sensibles
ou la liberté de religion est en jeu, comme sur le terrain inter-Soudanais, les
« born-again » américains se sont investis, soutenant activement, via
des ONG comme « la Samaritan’s Purse de Franklin Graham, le processus qui
a conduit à la fragile indépendance du Soudan du Sud à majorité chrétienne. L’évangélisme
a tendance à s’étoiler à l’ombre des casquettes de dictateur et des juntes
militaires. A l’inverse, il est au rendez-vous lorsque les sociétés civiles s’ébrouent
et défient les autocrates, à l’image du rôle joué la « megachurch
ukrainienne God’s Embassy, à Kiev, à l’occasion de la révolution orange en
2004, puis lors de la crise de 2014, sachant qu’actuellement en Biélorussie,
les missionnaires sont très actives.
LES
LOBBIES DE LA NOUVELLE SPIRITUALITÉ POLITISÉE
A priori,
trois axes d’influence contribuent aujourd’hui au poids géopolitique
évangélique états-unien, mais sur le mode d’un dissensus interne plus que d’une
union sacrée. Le premier est celui de la morale sexuelle et de la défense du
mariage hétérosexuel. Sous l’étendard de la morale familiale conservatrice, de
nombreux lobbies évangéliques sont prêts à se mobiliser, même si de plus en
plus de convertis américains s’accommodent du mariage homosexuel (le cas de l’influence
sur l’Ouganda sur la loi homophobe). Le deuxième axe est celui du
réenchantement par le haut des Etats et des nations, au risque « de la
tentation du pouvoir absolu ». Le troisième axe est celui d’Israël et du
sionisme chrétien. Prés de 45 millions de chrétiens américains, à majorité
évangéliques, développent aujourd’hui diverses nuances de sionisme, appuyées sur la conviction que « Dieu bénit Israël »
et que la restauration du peuple Juif, sa terre, annonce le retour glorieux de « Jésus-Christ ».
Appuyant des lobbies influents, dont certains n’hésitent pas à soutenir les
colonies installées en Cisjordanie, ces sionistes évangéliques états-uniens ne
recrutent guère hors d’Amérique, mais le
poids interne suffit à peser sur les enjeux proche-orientaux. Jérusalem, mirage
d’une « Cité de Dieu » à reconstruire, tous les évangéliques
américains ne semblent pas prés à s’investir pour une telle cause.
Au-delà des
institutions évangéliques les plus rassembleuses, on ne saurait trop rappeler
la diversité multipolaires des logiques d’impact. Aucune institution ne
représente l’ensemble de la nébuleuse. Le poids des organisations missionnaires
comme Campus Crusade, les grands centres de formation comme le Dallas
Theological Seminary, le Fuller Seminary ou le Wheaton College, les ONG
confessionnelles comme World Vision, l’une des cinq plus grandes ONG au monde,
les lobbies politiques majoritairement conservateurs et les communautés
ecclésiales, restent la grande opportunité de Trump pour décrocher un second
mandat.
MOHAMMED
CHERIF BOUHOUYA
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire