mardi 8 septembre 2020

GÉOPOLITIQUE DE L' ÉVANGÉLISME AMÉRICAIN: UN ÉLÉMENT CLEF DU SOFT POWER DE DONALD TRUMP


Dans le milieu du XIX  siècle, l’évangélisme américain prolifère, puissant et missionnaire. Les campings religieux résonnent de prêches enflammés et de conversions retentissantes. Confiant dans un « Dieu » américain qui valorise, plus que tout, le bon sens du chrétien et le choix personnel, l’évangélisme s’est gagné un univers a part du nouvel empire états-unien, contribuant à la valeur ajoutée missionnaire de la destinée manifeste. Ses logiques d’impact pèsent sur les enjeux géopolitiques, dans une configuration décentralisée qui dessine une mondialisation discrète.
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RACINES DE L' ÉVANGÉLISME

Les églises évangéliques sont nées sur le Vieux Continent. Elles s’inscrivent dans la matrice des Réformes du XVI siècle, avec l’anabaptisme continental, groupes de convertis qui rebaptisent à l’age de raison et le non- conformisme anglais radicaux protestants en marge de l’église anglicane. Émiettées et décentralisées, elles revendiquent un christianisme qui articule une relation personnelle avec Jésus fondée sur le pardon et la foi, et construction collective. Elles proposent, « urbi et orbi », une offre religieuse  individualisante, fondée sur le choix personnel, mais porteuse d’effets sociaux en raison de la dynamique militante et prosélyte qui soude les fraternités électives évangéliques.  L’objectif partagé : étendre le Royaume de Dieu. Marginal et souvent persécuté à l’époque moderne ( du XVI au XVIII siècle), cet évangélisme s’est peu à peu étoffé au fil des Réveils qui scandent l’histoire du protestantisme, à partir de mouvements de conversions, pieux et fervents, comme le baptisme et le piétisme ( XVII siècle), le méthodisme (XVIII siècle), et enfin le pentecôtisme et le christianisme ( XX siècle).  Pourquoi est-ce aux Etats-Unis qu’il trouvé son premier bastion, sa Terre promise ? C’est que le déploiement évangélique s’est heurté, en Europe, aux interdits posés par les oligopoles religieux déjà en place. Un processus de confessionnalisation y a nourri, depuis la fin du Moyen-âge, des églises d’Etats « tel prince, telle religion ».  Rien de tel outre-Atlantique, en tous cas depuis l’indépendance des colonies américaines. Le mur de séparation (Jefferson) entre églises et Etat a permis aux associations de convertis évangéliques de prospérer sans entrave, jouant sur la culture pionnière, entrepreneuriale et individualiste du nouvel Etat fédéral pour emporter des parts de marché décisives sur la scène religieuse et culturelle. On remarque souvent les évangéliques comme des exaltés, des chrétiens sans compromis, d’humeur martiale (les soldats de Jésus). Mais la plupart du temps, cette image relève davantage de l’idée reçue que de la réalité sociohistorique. Car le protestantisme évangélique états-unien, qui comporte des millions de pratiquants occasionnels, rompus au zapping ecclésial, a bâti son succès sur la base d’une voie médiane entre le fondamentalisme pur et dur et le libéralisme théologique.

FONDAMENTALISME ET LIBÉRALISME

Trois institutions parmi bien d’autres jouent un rôle particulier dans ce positionnement sur la scène religieuse américaine puis mondiale. La première est l’Alliance évangélique universelle, créée dés 1846 en Angleterre sous le non de World Evangelical Alliance, puis très fortement relancée aux Etats-Unis en 1951 par les théologiens Harold j. Ockenga (1905- 1985) et J.Elwin Wright (1890-1973) sous le non de World Evangelical Fellowship. Focalisée autour des questions missionnaires et de liberté religieuse, elle tient une grande part de son rayonnement du poids de l’évangélisme américain. La seconde institution est la National Association of Evangelicals « NAE ». Il s’agit du principal carrefour évangélique aux Etats-Unis. Formalisée à Chicago en 1943, elle regroupe la majorité des protestants évangéliques américains dans une structure fédérale souple, mais très active, impliquée dans les débats religieux et sociaux. Rangée sur une ligne politique plutôt conservatrice, elle s’est cependant désolidarisée de la New Christian Right des années 1980-1990. La troisième grande institution du dernier demi-siècle est un journal, le mensuel Christianity Today. Fondé en 1956 sous l’impulsion de l’évangéliste Billy Graham et de son beau-père, Nelson Bell (1894-1973), il constitue l’organe de presse majeur du courant évangélique états-unien. Très sensible aux enjeux mondiaux, lue sur les cinq continents, cette publication constitue la carte de visite internationale des priorités géopolitiques de l’évangélisme américain. Missionnaires et engagées à tous les échelons de la vie sociale, dotées d’une force de frappe de centaines de salariés et de milliers de bénévoles, les méga-églises constituent des relais d’influence pris très au sérieux par les autorités politiques.

LES AXES  D'INFLUENCE DE ÉVANGÉLISME

A l’échelle nationale comme au plan mondial, ces réseaux de convertis entendent faire la diversion. Quatre axes d’influence font consensus : l’évangélisation, la liberté religieuse, l’action humanitaire et la défense des valeurs démocratiques. Elle passe par un réseau mondial de 665 millions, nourri par milliers de missionnaires et un prosélytisme interpersonnel qui fait mouche : l’évangélisme est une religion conquérante qui remodèle le paysage religieux mondial, y compris en Chine. Le nouveau colosse sino-évangélique affiche 70 millions de fidèles au compteur, et nourrit le mouvement « Back to Jerusalem », effort chinois visant, à terme, à convertir toutes les populations entre Beijing et Jérusalem via une armada de 100 000 missionnaires et en finir surtout avec la minorités musulmanes. Dans de nombreux dossiers géopolitiques sensibles ou la liberté de religion est en jeu, comme sur le terrain inter-Soudanais, les « born-again » américains se sont investis, soutenant activement, via des ONG comme « la Samaritan’s Purse de Franklin Graham, le processus qui a conduit à la fragile indépendance du Soudan du Sud à majorité chrétienne. L’évangélisme a tendance à s’étoiler à l’ombre des casquettes de dictateur et des juntes militaires. A l’inverse, il est au rendez-vous lorsque les sociétés civiles s’ébrouent et défient les autocrates, à l’image du rôle joué la « megachurch ukrainienne God’s Embassy, à Kiev, à l’occasion de la révolution orange en 2004, puis lors de la crise de 2014, sachant qu’actuellement en Biélorussie, les missionnaires sont très actives.

LES LOBBIES DE LA NOUVELLE SPIRITUALITÉ POLITISÉE

A priori, trois axes d’influence contribuent aujourd’hui au poids géopolitique évangélique états-unien, mais sur le mode d’un dissensus interne plus que d’une union sacrée. Le premier est celui de la morale sexuelle et de la défense du mariage hétérosexuel. Sous l’étendard de la morale familiale conservatrice, de nombreux lobbies évangéliques sont prêts à se mobiliser, même si de plus en plus de convertis américains s’accommodent du mariage homosexuel (le cas de l’influence sur l’Ouganda sur la loi homophobe). Le deuxième axe est celui du réenchantement par le haut des Etats et des nations, au risque « de la tentation du pouvoir absolu ». Le troisième axe est celui d’Israël et du sionisme chrétien. Prés de 45 millions de chrétiens américains, à majorité évangéliques, développent aujourd’hui diverses nuances de sionisme, appuyées  sur la conviction que «  Dieu bénit Israël » et que la restauration du peuple Juif, sa terre, annonce le retour glorieux de « Jésus-Christ ». Appuyant des lobbies influents, dont certains n’hésitent pas à soutenir les colonies installées en Cisjordanie, ces sionistes évangéliques états-uniens ne recrutent guère  hors d’Amérique, mais le poids interne suffit à peser sur les enjeux proche-orientaux. Jérusalem, mirage d’une « Cité de Dieu » à reconstruire, tous les évangéliques américains ne semblent pas prés à s’investir pour une telle cause.
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Au-delà des institutions évangéliques les plus rassembleuses, on ne saurait trop rappeler la diversité multipolaires des logiques d’impact. Aucune institution ne représente l’ensemble de la nébuleuse. Le poids des organisations missionnaires comme Campus Crusade, les grands centres de formation comme le Dallas Theological Seminary, le Fuller Seminary ou le Wheaton College, les ONG confessionnelles comme World Vision, l’une des cinq plus grandes ONG au monde, les lobbies politiques majoritairement conservateurs et les communautés ecclésiales, restent la grande opportunité de Trump pour décrocher un second mandat.

MOHAMMED CHERIF BOUHOUYA




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