Réduite à
la rupture inéluctable d’une union aberrante entre des chrétiens cruels et
leurs victimes arabo-musulmans, la partition des deux Soudans constitue en
réalité un séisme géopolitique pour l’Afrique et le monde arabe, le processus
s’engage à moyen terme à l’instigation de l’Occident, des Emiratis et des
Saoudiens vers un éclatement en quartes confédérations automnes et des conflits
internes meurtries.
Le
processus s’engage à l’été 2000 au Kenya à l’instigation de Washington, bien
décidé à dicter ses conditions aux deux parties, en premier lieu au régime de
Bachir, mais sous haute surveillance. Entamé sous les auspices de l’AGAD (Intergouvernemental
Authority on Development) qui regroupe le Soudan et son voisinage, cornaqué par
un panel de l’Union Africaine, surveillé par les Européens, il est booster par
une médiation américaine pressante et partiale. A ce stade la séparation est
rarement évoquée au Soudan, nombreux sont ceux qui y songent en Amérique ou les
néoconservateurs sont au faîte de leur gloire, ou encore en Israël qui soutient
la rébellion sudiste depuis la fin des années soixante. Le conflit du Darfour,
qui ouvre un nouveau front de nature à attendrir le régime de Khartoum face au
SPLM, est donc pour les amis du Sud un cadeau providentiel. Le 9 janvier 2005
reprend les termes de l’accord de Khartoum (Etat fédéral, Sud autonome, offrant
aux sudistes le maintien de l’unité, qualifiée d’option privilégiée, ou la
sécession, rêve des lobbyistes anti-soudanais.
SUCCÈS POUR WASHINGTON ET ISRAËL POUR L' HÉGÉMONIE FINALE DU SOUDAN
En 2011,
l’hostilité américaine à l’encontre du Soudan n’a pas plus de vingt ans d’âge. Se heurtant à la montée de l’hégémonie des
Etats-Unis liée à la chute de l’URSS, l’affirmation de l’orientation islamique
du régime de Khartoum installé par un coup d’Etat en 1989 a transformé un
partenaire stratégique en bouc émissaire sanctionné pour l’ensemble de son
œuvre. La dissolution du plus grand Etat arabe et africain est un triomphe pour
la diplomatie de Washington et l’affaiblissement de Béchir. Désormais, le
Soudan du Sud peut compter sur la complaisance des néoconservateurs américains
et sur l’activisme des lobbies hostiles aux Arabes ou aux musulmans. Aboutissement
d’une coopération engagée secrètement depuis les années soixante avec la
rébellion « Anya Nya » de Joseph Lagu, la partition réalise l’un des
rêves stratégiques d’Israël, qui va ainsi disposer d’un allié précieux aux
confins du monde arabe, au sud d’un pays déstabilisé. Pour marquer sa
reconnaissance, le Soudan de Djouba ouvrira son ambassade à Jérusalem. Au fil du temps, la CPA qui promettait
l’unité aura ouvert la voie à la sécession. En outre, il n’amène pas la paix,
ouvrant au contraire une boite de Pandore à tiroirs : une contagion de
l’instabilité tant au Nord mutilé, qui va connaitre une banalisation des
dissidences et la menace d’un printemps arabe, qu’au Sud, qui va replonger dans
la guerre civile, et un état de guerre larvée entre Khartoum et Djouba.
LE PÉTROLE/ CHAMPS DE BATAILLE ET FACTEUR DE GUERRE
Les
richesses de l’or noir, vont laisser derrière eux de véritables bombes à
retardement, sans oublier le déchirement des populations. Presque deux siècles
de vie commune créent des liens indélébiles que le divorce rend ingérables dés
lors que les deux parties s’obstinent à les ignorer. Or le flou entretenu par
Khartoum comme par Djouba autour des déplacés et du paysage religieux issu de
la sécession ne contribue pas à éclairer l’avenir des innombrables Soudanais
devenus « apatrides » malgré eux. Plus de 5,5 millions choisiront le
Nord du Soudan. Au recensement de 2010, les Sudistes sont 8,32 millions,
environ 20% de la population. Les
autorités de Djouba avancent un chiffre de 50% supérieur, soit environ 12, 90
millions. On ignore jusqu’à présent si les déplacés sont décomptés quelques
part. Tandis qu’au Soudan les migrants sont passés sous silence, le
politiquement correct imposera au Soudan du Sud l’annexion statistique des
animistes par les chrétiens. Toutefois, les chiffres retenus pour déterminer la
place des partis durant la période intérimaire suggèrent une réalité plus
nuancée : 15% de musulmans, 15% de chrétiens et 70% d’animistes. La présence
de l’islam dans un Etat qui se veut plus chrétien que nature sera donc
escamotée et l’impact de la partition restera dans l’ombre. Une
certitude : les deux Etats ont écarté la solution qui aurait consisté à
octroyer à ces laissés-pour-compte la nationalité du pays ou ils résident. L’or
noir est le facteur de discorde le plus explosif. Il est ainsi à la base des
différends frontaliers esquivés et glissés dans la corbeille des affaires en
suspens. A peine découvert à la fin des années soixante-dix par Total (ou les
trois E, Elysée, Etat-major, Elfe), le projet pétrolier sera mi en sommeil à la
reprise de la guerre au Sud-Soudan en 1983, le groupe Français préservant seul
une concession dormante. En 1996, dans un contexte de sanctions et d’embargo,
le gouvernement surprend son mode en confiant à un consortium à direction
Chinoise le soin de lancer la production. Cette sécession Nord-Sud (la
Chinafrique) fera de ce dispositif imposé par la géopolitique un objet de
litige permanent, chapeauté par un complot d’éclatement et d’autonomie de
quartes Etats. Durant presque une décennie, 1996-2005, les Soudanais ont été
gagnés progressivement par l’euphorie de l’or noir, évitant de penser aux
lendemains qui pourraient déchanter. Les années intérimaires 2005-2011, ont été
vécues comme un sursis, le pouvoir central renonçant à contrôler les
pétrodollars du gouvernement autonome, se concentrant sur ses propres mirages.
AUTODÉTERMINATION ET UN FUTUR DÉJÀ SCELLE
Le Soudan
va cultiver le mythe pétrolier. Le territoire est quadrillé par les concessions
et les experts évoquent un potentiel impressionnant. En outre, la proximité des
gisements sudistes exploités, localisés en pays nué, contigus à la frontière,
loin du Kenya ou de l’Ouganda, constitue un atout primordial. Le sous-sol n’a
d’ailleurs pas fini de dévoiler ses trésors : du pétrole encore, mais
aussi des réserves d’uranium et de cuivre qui pourraient être parmi
les « premières au monde » (notamment au Darfour).
Actuellement, en semi-banqueroute suite à la partition qui divise par quatre
ses revenus pétroliers et au conflit larvé avec le Sud, le pouvoir se réfugie
dans une économie de guerre, concentrant ses ressources sur l’armée. Il doit
défendre ses frontières riches en pétrole tout en rentabilisant ses
infrastructures existantes : la clé de ce problème est à Djouba, par la
persuasion ou par la force.
UN RÉGIME DOMINÉ PAR LA CORRUPTION LE NÉPOTISME ET LA CRIMINALITÉ
Avec ses
620 000 kilomètres carrés, le Soudan du Sud dispose d’un vaste territoire,
bien arrosé et bien pourvu par la nature. Il est pourtant pauvre. 90% des
habitants vivent avec moins d’un dollar par jour. Dans ce pays des rivières ou
le Nil Blanc, ses bras et ses affluent sont omniprésents, un habitant sur deux
n’a pas accès à l’eau potable, et un enfant sur cinq meurt avant l’âge de cinq
ans. Les infrastructures sont inexistantes : pas d’internet, pas de
routes, le pays dépend pour l’essentiel de l’assistance étrangère. En raison de
son histoire et de ses liens avec l’Ouganda et le Kenya qui l’ont aidé dans sa
rébellion, de sa géographie de pays enclavé et de géopolitique, il dépend
étroitement de ses voisins. Cela le rend vulnérable aux mauvaises intentions
des prédateurs et aux bonnes intentions de ses alliés. La prédation attient des
proportions surréalistes. Un dixième du territoire serait déjà bradé sous forme
de beaux à long terme à des sociétés d’investissements souvent anglo-saxonnes,
à des tarifs promotionnels qui laissent pantois. Entre Djouba et Malakal, les
seigneurs de guerre accordent, des concessions en or octroyant ainsi le droit à
l’exploitation du sol et du sous-sol. L’Etat reste donc à créer, difficile pour
les cadres d’une guérilla de se recycler en gouvernant honnêtes. Quant à
l’aspiration à un Etat de droit, peut-elle être incarnée par un président élu à
98, 45% des voix ? Comme s’est le cas des
républiques bananières. Avec du pétrole et guerre ethnique à l’horizon,
le Soudan du Sud a hérité de plus de 70% du pétrole pré-partition et en tire
98% de ses revenus. Très enclavé, il restera quoi qu’il advienne tributaire de
ses voisins du Nord ou du Sud. Les réserves prouvées, qui correspondaient à
quinze ans de pompage, risquent de s’épuiser rapidement en l’absence
d’investissements massifs. Or, les infrastructures sont disponibles au Soudan,
tandis qu’elles sont à créer en Ouganda ou au Kenya. Le choix est politique et
aussi stratégique. On devine le dilemme pour un pays qui se veut émanciper ?
LES JEUX
TROUBLES DE L’EUROPE, DES ETATS-UNIS ET LA CHINE
La
partition a placé les deux Soudans dans une situation inextricable,
empoisonnant leur avenir alors que, partageant un espace et une histoire
commune, ils sont condamnés à vivre ensemble. Les péripéties rappelées ici
illustrent le caractère intrusif d’une relation frisant le surréalisme avec en
charge l’idiome inter-ethnique. Ont observent actuellement deux Soudans placés
sous le poids de coopération fraternelle ou de confrontation fratricide,
orchestré par les Emirats-arabe-unis et l’Arabie-Saoudite dans un échiquier
géopolitique exponentielle. De plus, la
compétition entre l’Ouest et l’Est revisitée, notamment la guerre énergétique
qui met aux prises les Etats-Unis, les Européens et la Chine, ils sont sur la même ligne de front, exposés à tous les dangers.
En somme,
l’ébranlement de l’espace Soudanais amorcé il y a vingt ans s’inscrit dans le
remodelage du Grand Moyen-Orient entrepris par George Bush et consorts dans les
années deux mille, ciblant les pays que l’on sait. Assorti ou non d’un
printemps arabe, il a participé d’une dynamique incontrôlable de déstabilisation
et de fractionnement dans l’immense ceinture Sahélo-Saharienne, là où le monde
arabe se fond dans l’univers Africain, du Darfour à la Côte-Ivoire, au Mali,
à la centrafricaine en passant par le Tchad, la Mauritanie, le Nigéria, le
Niger et la Libye. En somme, l’Afrique
reste un séisme géopolitique dont certaines répliques sont encore à venir.
MOHAMMED
CHERIF BOUHOUYA
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