Le débat qui anime les intellectuels
musulmans à partir du XIX siècle est international : Les musulmans
d’Egypte correspondent avec les musulmans de Syrie et du Liban, avec ceux du
Maghreb et ceux qui sont exilés en Europe. Les musulmans de l’Empire Ottoman,
de l’Inde et de l’Empire Tsariste y participent. Des revues sont fondées, ainsi
que des associations, des ouvrages paraissent et les idées réformistes de
modernisation de l’Islam prennent d’autres horizons.
L’INFLUENCE DE MOHAMMED ABDOU ET
RACHID RIDA
Rachid Rida 1865-1935
Il fut le principal et le plus
efficace disciple de Mohammed Abdou. Il diffusa la pensée de son maître dans le
cadre d’un mouvement qu’il lança et anima, « la SALAFIYA » (salef ou
le retour aux sources de l’islam), dont l’ambition était de revenir à l’islam
des origines dépouillé de toute innovation et déviation. Originaire de Tripoli
« Liban », Rachid Rida rencontre Abdou lors d’un séjour de ce dernier
à Beyrouth, entre 1885 et 1888. Après l’avoir rejoint en Egypte, en 1898, il
fonda avec lui « Manar », revue à laquelle il consacrera toute sa
vie. Il y publiera notamment un commentaire réformiste du Coran de Abdou
accompagné d’une analyse de son cru. Ce commentaire moderne couvrira
les « douze premières sourates ». Reda y infusera des
interprétations moins libérales que celles de son maître et, à la fin de sa
vie, se rapprochera des rigoureuses positions du Wahhabisme alors triomphant
dans l’Arabie conquise par Abdel al-Aziz Ibn Saoud. Pour les orientalistes, il apparaît comme un
réformiste conservateur jusqu’à nos jours. Après les réflexions du cheikh
Abdou, qui proposait une réelle reconsidération des méthodes d’approche des
fondements de l’islam, il prône, en effet, dans un discours apologiques et
défensif à l’égard de la religion et de la lecture musulmane (à la base de
l’idéologie la plus répandue dans l’islam contemporain), une sorte de
« réformisme inaccompli » mêlant l’hostilité aux confréries et aux
Oulémas défenseurs de l’Acharisme figé, à la défense de l’Ijtihad
« l’effort de recherche personnelle selon le Coran et la
Sunna » , et à celle d’une réunion des musulmans divisés en quatre
écoles de jurisprudence(1). Contrairement à El-Afghani, considéré comme chiite,
Rachid Reda n’ira pas dans le sens d’une réconciliation avec le chiisme, auquel
il est très hostile, et le rejette totalement. En mars 1924, à l’époque de
l’effondrement du Califat, il commence à défendre avec vigueur une thèse qu’il
avait présenté en 1922 dans un ouvrage intitulé « AL-Khilafa Wa l-imama
al-Ouzma, le califat et le grand imamat ». Il propose que le calife soit
désigné par des représentants élus des peuples musulmans, à l’origine des
quatre califes qui ont succéder le prophète, « la choura, ou consultation
des croyants ». Si l’idée était le fruit des salefs, jamais les
possibilités de l’appliquer ne purent être réunies et au fil des siècles c’est
l’empire Britannique qui dicte la naissance des monarchies despotiques Arabes,
et le projet de Reda est rentré dans les hécatombes de l’histoire. Ainsi, en un
siècle, depuis Ahmed Khan qui alla le plus loin dans l’adoption des idées
européennes jusqu’à Rachid Rida qui promut un réformisme que certains ont
considéré comme tronqué, en passant par l’agitateur que fut Al-Afghani et
l’homme de pensée et de réforme que fut Mohammed Abdou, quatre grandes figures
marquent l’islam dans le cadre d’une tendance qualifiée de « réformiste ou
Islah ».
MOBILISATION A TRAVERS LE MONDE
MUSULMAN
A partir de 1850 à 1914, le monde
musulman a connu une effervescence vertigineuse, en Syrie, le principal acteur
de ce mouvement est Abd al-Rahman al-Kawakibi 1849-1903, auteur de « la
mère des cités et les caractères du despotisme et les luttes contre
l’asservissement ». Dans ses ouvrages, il dénonce le retard du monde
musulman et le despotisme ottoman, auquel il oppose un principe électif fondé
sur la pratique de la « Choura, consultation des croyants », dont on
peut trouver l’évocation dans le Coran et la Sunna. En Tunisie, les animateurs
de ce mouvement sont le cheikh Mahmoud Kabadou 1813-1871, qui plaide pour une
modernisation de l’enseignement, puis le général Kheir al Din 1822-1890, qui
fut ministre du bey de Tunis et qui créa le collège Sadiki, formateur de toutes
les élites tunisiennes. Il publie un ouvrage intitulé (la plus sure direction
pour connaitre l’état des nations). C’est en Tunisie que la revue «
AL-Hadira ou la capitale », parait entre 1888 et 1892.En 1912, à Calcutta
commence à s’exercer l’influence du réformiste Indien Abou L-Kalam Azad 1888-
1958, partisan enflammé du panislamisme, qui défend une approche simple du
Coran, c’est-à-dire la Révélation débarrassée à la fois des commentaires
anciens et des gloses contemporaines prétendant mettre le texte sacré en accord
avec la science. Anticolonialiste, après la création du Pakistan en 1947, dans
l’Union indienne indépendante, dont il fut jusqu’à sa mort le ministre de
l’Education.
LES VISIONNAIRES DE LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE
Juste après la première guerre
mondiale, la revue de Rachid Reda est lue dans le monde arabe. Un réformiste
très influent, l’émir Chakib Arslan 1871-1946, y publie une série d’articles.
Il diffuse également depuis Genève une publication, « la Nation
Arabe ». En Algérie, à Constantine, Ibn-Badis 1889-1940 combat pour un
retour à l’islam des Salafs « les racines ». Avec sa revue «
AL-Chihab ou Le météore », puis avec l’association des Oulémas Algériens et
sa publication officielle « AL-Basayr ou les visions » à partir
de 1931, Ibn- Badis, fut le premier
réformiste qui posa les fondements du Jihad au nom d’Allah contre l’occupant
français. 40.000 de ses disciples prendront le maquis à la base de l’Est à la
frontière Tunisienne. L’association des oulémas, à la leur tète Ibn-Badis,
avant le déclenchement de la guerre en 1954, ils ont sillonné le pays afin de
sensibiliser les algériens sur l’illégitimité et les dérives
obscurantistes des confréries et les
tombeaux des saints, une pratique très courante orchestré par les coureaux des
confréries. Les circonstances de la mort de Ibn-Badis reste obscur, les uns
parlent d’un empoissonnement, d’autres retracent le complot d’assassinat de la
part de la confrérie de Mostaganem, « confrérie mystique soufie
alawyite, qui associe même l’hindouisme et le bouddhisme avec l’islam »
mais certains chercheurs condamnent la confrérie des Alaouites chiites qui ont
commis l’irréparable vue les positions virulentes du cheikh Ibn-Badis
contre toutes les tendances du chiisme. En 1954, lors de la tentative d’assassinat
contre Abdenacer en Egypte, le feu président Ben-Bella fut dissoudre
l’association des Oulémas en Algérie, de criante qu’ils se radicalisent comme
les frères musulmans ce qui n’était pas le cas. Les frères musulmans à
l’époque, ont soutenu le président égyptien pour accéder au pouvoir, peu après il
les a mis en prison, le président Boumediene, s’opposa à la peine capitale
infligée conte Sayed Qoutoub, mais Nasser le condamne par pondaison ( pour
l’histoire, il faut rappeler que Ben-Bella et Boumediene ont interdit
totalement toute forme de maraboutisme) . En Algérie, dès les années 1970, le spectre de
confrontation entre islamiste et laïcs se fait sentir au sein des universités,
deux courants s’imposent, chacun défend son idéologie, les islamistes d’une
part et les communistes de l’autre le « PAGS », ses derniers
ont étaient instrumentalisés par les services secrets algériens afin
d’éradiquer la mouvance islamiste du pays. Depuis la décennie noire qui
opposait les islamistes et les généraux, ses deux courants subsistent encore
sur la scène politique algérienne. D’un côté on trouve les partis islamistes,
et les partis laïcs comme le RCD, le RND, le PT et le MAK, qui s’opposent
farouchement à l’arabité et l’islam en particulier. Quant au Maroc, l’influence
du réformisme s’y fait sentir un peu plus trad. avec Abou Chouayb Doukkali, qui
entreprend à son retour d’Orient une réforme de la grande université
al-Karawiyin de Fès. Après Ben Larbi al-Alawi, le réformisme marocain trouvera
l’un de ses principaux défenseurs en la personne d’Allal al-Fasi 1907-1974, auteur de
« l’autocritique en 1952 », il reste l’un des fondateurs de
l’Istiklal, le parti de l’indépendance marocaine. Des tendances réformistes voient
également le jour en Afrique noire. La Tijaniya, au Sénégal, en est le premier
cadre. Des musulmans soucieux de lutter contre « la dérive
maraboutique » fondent en 1934 une association nommé « brigade de la
fraternité musulmane » afin de faire barrage à la confrérie Tijaniya (voir
les autres analyses sur les confréries). Dans les années 1950, se développe,
depuis le Sénégal toujours, un mouvement réformiste introduit par des
Sénégalais ayant fait leurs études en Algérie. C’est ainsi que Touré institue
en 1953 l’Union culturelle musulmane qui contrôlera à l’indépendance en 1958,
le nouvel institut d’études islamiques du Sénégal est né. D’autres unions
musulmanes verront le jour en Guinée, en Haute-Volta « actuel Burkina
Faso » et en Côte-d’Ivoire. En 1957 sera créée une fédération de ces
unions culturelles de L’A-OF « Afrique-Occidentale Française ». En
Indonésie, les idées nouvelles font leur chemin. La population est très
superficiellement musulmane et le rôle de la Nakchbandiya(1) réformiste et des
tendances Wahhabites dans la conversion des populations est primordial tout au
long du XIX siècle. Les modernistes sont actifs, ils fondent le courant de la
Mohammediya en 1912 et un parti, « le Sarekat Islam ou ligue
islamique », qui représentera les intérêts des musulmans pendant une
quinzaine d’années avant de péricliter et d’être supplantée en 1938 par le
parti Islam Indonesia. Dans les régions stratégiques comme l’Inde ou l’Empire
Tsariste, les mêmes dynamiques se propulsèrent. Les musulmans en Inde étant
moins nombreux que les hindouistes, c’est dans une logique minoritaire que se
forme à Dacca « Bengale » l’instrument de leur expression politique,
la Muslim league (ligue musulmane), en 1906. Au début de 1913, cette formation
est animée de Karachi, par Mohammed Ali Jinnah 1876-1948, qui sera à l’origine
de la création du Pakistan en 1945. L’institution qui aura le plus d’influence
demeure la Jamia Milliya Islamiya « Université de la confession
Islamique », fondamentalement antibritannique, fondé en 1920 à Aligard et
transportée en 1925 à Delhi. Au fil du temps, l’Empire Tsariste, qui ne tardera
pas à devenir l’Empire Soviétique, voit s’élever les revendications d’Ismail
Gaspirali en Crimée ; L’Asie centrale, assez récemment conquise, est le théâtre
de révolte. Sous le régime soviétique, une tentative de communisme national
musulman est promue, notamment par Sultan Galiev 1880- 1889, (lire également
l’analyse sur le Caucase et l’islam).
UN RÉFORMISME MORT NE ET UN ISLAM
CONFISQUE PAR L’OCCIDENT ET DICTE PAR LES DICTATEURS ARABES
A travers le monde musulman, les échanges,
les interrogations, les initiatives se multiplient, avec des effets divers. La
réalité historique contraindra cependant les uns et les autres à se focaliser
sur leurs problèmes nationaux. Malgré cela, des tentatives d’actions inter-
musulmans continueront tant bien que mal de voir le jour, comme le congrès
panislamiques organisés entre les deux guerres mondiales (le Caire, 1926 ;
la Mecque, la même année, Jérusalem, 1931 ; le Caire, 1937). Après la
seconde guerre mondiale, l’Egyptien Mahmoud Chaltout 1893-1963 et l’Ayatollah
Housayn Boroujerdi 1875-1962, qui amena la création de l’office de
rapprochement entre les écoles musulmanes, à savoir entre sunnites et chiites,
rien allant dans ce sens n’a vraiment abouti. Au-delà des publications
éphémères, des œuvres militantes de circonstance ou l’islam moderne, a produit
à un niveau plus théorique, des réflexions juridiques, théologiques,
philosophiques et mystiques, historiques et politiques. Lorsque cette pensée
prend forme, il n’existe plus dans l’islam de vraies écoles théologiques
renouvelant la réflexion rationnelle sur la donnée révélé. Les grandes figures
de ce nouveau mouvement se classent difficilement dans des tendances clairement
définies. C’est pourquoi l’on ne peut guère parler que d’une pensée multiforme,
voire éclatée, produite par de nombreux auteurs dans divers pays et diverses
conditions. Au Maghreb Mohammed Aziz Lahbabi, dans son intégration sur le
destin de l’homme, ce dernier choisit comme référence à la fois les sources
essentielle de l’islam et les principaux courants de la philosophie occidentale
contemporaine. Il fut soucieux de construire une personne musulmane,
c’est-à-dire une personnalité humaine animée de valeurs sociales et morales
découlant de l’esprit de l’islam. Il écrit De l’être de la personne. Essai de personnalisme
réaliste en 1954, Du clos à l’ouvert en 1961 et Le Personnalisme musulman en
1964. Dans le troisième, il définit la personne musulmane comme constituée par
sa capacité à dépasser les dualités corps-esprit, individu-société, grâce à la
présence constante du Divin. Cette vision a était également partagée par
Mohammed El-Ghazali dans le sens de la pensée islamique, Mohammed Metwali
el-Charawi, et Youcef el-Karadawi, tous originaires d’Egypte. Stimulée par la
question de l’homme musulman et l’histoire de l’islam face à la l’Europe,
Mohammed Tazerout fera surtout œuvre d’historien. Né en Kabylie en 1898, il
enseigna l’Allemand en France et fit paraitre de 1955 à 1960 son œuvre
principale en cinq tomes, « Au congrès des civilisés ». Il y oppose
les modes de progrès de l’Orient et de l’Occident. Selon lui, l’islam assimile
et universalise les particularismes et les différences tandis que l’Occident
bâtit son progrès sur un expansionnisme géographique, culturel et économique.
Il encourage l’islam à continuer dans cette direction, en intégrant tous les
courants qui le constituent ainsi que les valeurs qui lui sont apportées de l’extérieur.
A ses yeux, il prône le progrès par l’ouverture qui est constitutif de la
civilisation musulmane.
LE PARADOXE DE L’AUTORITE APRES LA
FIN DU CALIFAT
Un autre pan de la pensée
contemporaine dans l’islam est la réflexion juridico-politique. Interrogé par
la modernité occidentale, l’islam a tenté de répondre par de nouvelles
conceptions du droit et des questions politiques. Durant tout le XIX siècle, il
était apparu aux consciences musulmanes que l’organisation sociale et politique
de l’Europe pouvait être prise pour modèle dans le cadre de réforme internes de
l’islam, en particulier au sein de l’Empire ottoman. La défaite de ce dernier,
constitue un événement symbolique majeur pour l’islam lorsque sont proclamées
en 1922 la suppression du sultanat par la grande assemblée turque et surtout
celle de 1924 qui mit fin au califat. A la suite de cela, en Inde un mouvement
d’appui au califat se constitue. Il réunit de nombreuses personnalités
réformistes, dont Aboul Kalam Azad et GHANDI. Mais le califat n’en était pas
moins mort et des penseurs musulmans durent réfléchir sur le pouvoir en pays
d’islam. Ali Abderrezak, dont l’ouvrage paru en Égypte en 1925, intitulé
« islam et sources du pouvoir », défendait l’idée que le califat
était une fonction temporelle et nom religieuse et que l’islam n’est pas, comme
généralement admis, une réalité religieuse et étatique, mais exclusivement une
mission en dehors de tout pouvoir. De telles affirmations valurent à leur
auteur, pourtant issu de la prestigieuse université d’al-Azhar, d’être condamné
par ses pairs, et contraint à l’exil. Comme
c’est le cas actuellement du mufti d’el-Azhar et Ali Djoumma, qui soutiennent
le président El-Sissi dans sa dictature absolue, dont 40 000 détenus (hommes,
femmes, enfants, étudiant) subissent des
atrocités inhumaines dans les
geôles égyptienne, sans parlé des sévices sexuels et autres. Un penseur indien
éminent, Mohammed Ikbal, s’engagea dans ce débat, défendant l’idée d’un
exercice collectif du califat présenté dans son ouvrage rédigé en anglais en
1932, « The Reconstruction of the
Religions Thought in Islam ». Né dans les années 1870 à « Sialkot
(Pendjab), il fait ses études à Lahore, puis se rend à Cambridge et à Munich,
ou il soutient une thèse sur la métaphysique en Perse. De retour en inde, il
s’engage dans la lutte menée par les musulmans indiens contre les Britanniques
en alliance avec les hindous. Élu président de la ligue musulmane en 1930, il
en sera la conscience, tandis qu’Ali Jinnah en sera l’animateur politique.
Désormais, c’est lui qui, le premier défendra l’idée « d’un Etat indien
musulman, séparé de l’Etat indien hindou ». Parallèlement à son action
politique, son œuvre exprime, avec une charge affective très forte, la
spiritualité de l’homme musulman contemporain. Son objectif sera de repenser
l’islam à la lumière des philosophies modernes et de proposer une vision de
l’homme musulman dans une société démocratique, équitable et fraternelle. Il
mourra en 1938, neuf ans avant l’indépendance de l’Inde et la création du
Pakistan.
LE CORAN AU CŒUR DES DÉBAT
Pour les musulmans, le Coran demeure
la parole de Dieu incréée, tout ce qui y est affirmé se trouvant de ce fait
incontestable. Hassan al-Banna 1906- 1949, fondateur de l’association des frères
musulmans en 1920, il proclame (L’Islam est idéologie et foi, patrie et
nationalité, religion et Etat, esprit et action, livre et épée.) L’homme qui
devient le tronc commun de tous les mouvements islamistes égyptiens mais non
violents, il a été formé dans un institut fondé en 1872 à l’initiative des
mouvements réformistes modernistes d’Egypte, à l’école « maison des
sciences religieuses », dans la logique d’Ibn Taymiya. C’est pourquoi,
toutes les approches visant, dans un même acte de foi, à recevoir et comprendre
le Coran autrement que comme la Parole incréée de Dieu véridique à prendre au
pied de la lettre se heurtèrent à des immenses difficultés. La première
tentative d’analyser le Coran en termes stylistiques et littéraires, selon les
méthodes de l’époque, eut lieu à l’approche des années cinquante. Mohammed
Ahmed Khalafallah rédigea une thèse intitulée « l’art du récit dans le
Coran », dans laquelle il distingua divers genres littéraires à
l’intérieure du Coran, entre autres celui de l’édification moralisatrice
regroupant les récits historiques rapportés par le Livre sacré. Cette
affirmation que les récits historiques du Coran pouvaient ne pas être
véridiques au premier degré fut exclus et la thèse rejetée. Dans le même ordre
d’idées, Fazlur Rahman, directeur de l’institut de recherche islamique de
Karachi, et auteur de nombreux ouvrages. Affirma en 1966 dans son livre
« Islam » (Que le Coran était entièrement la Parole de Dieu et
entièrement aussi la parole de Mohammed et qu’il était relié intimement à la
personnalité du prophète Mohammed, dont la relation au Coran ne peut être
conçue mécaniquement), attribuant ainsi au livre révélé une origine humaine,
parallèle et non contradictoire par rapport à son origine divine. Les autorités
religieuses et politiques réagissent en 1968, considérant ce dernier comme associationniste et mécréant, et il sera exilé en Amérique du Nord, où il put
continuer son enseignement. Enfin, Mahmoud Mohammed Taha, un autre penseur
Soudanais, suivant en cela des théoriciens indiens comme Chah Wali Allah ou
Ahmad Khan, proposa de privilégier « les versets Mecquois par
rapport aux versets Médinois). A partir de cette réflexion Satanique, il
établit que les versets mecquois devaient être la source de l’interprétation du
Coran, lequel devait donc être pris comme un livre spirituel et non pas comme
une loi tel que le concevait le personnel juridico-religieux de l’islam depuis
des siècles. Il s’opposa donc dans son pays à la promulgation du code pénal
islamique en 1983 et fut exécuté début 1985 pour apostasie de l’islam. A côté
de ses pensées existe une attitude musulmane qui, face aux désarrois coloniaux,
culturels, économiques et politiques vécus par d’innombrables musulmans,
renvoie ces derniers aux fondements de la religion islamique. Ancrée dans
l’histoire lointaine et immédiate, cette attitude procède aussi des échecs des
modèles de développement après indépendance. Les partisans de cette position
s’en remettent, au plan de l’organisation sociale, à la Charia, législation
islamique élaborée dans le cadre de l’histoire de l’espace musulman, dont les
sources sont le Coran et la Sunna et Compilée dans le Fikh, « la jurisprudence »
des grands docteurs de la loi sunnite. Quant au politique « a une
certaine époque ? », ils veulent qu’il soit régit comme le fut l’Etat
islamique idéal de Médine, par des guides éclairés, et juste, faisant appliquer
les préceptes de ce qui est devenu au cours des siècles la « CHARIA »
avec le consensus de la Communauté des musulmans. Telle est, esquissée à très
grands traits, la position extrême que peut prendre le mouvement contemporain
d’apurement de la pratique islamique.
LES LAÏCS ET LES RATIONALISTES
Au fil du temps, ont trouvent
d’autres chercheurs qui défendent un islam laïc et rationnel. Ces tenants d’une
pensée critique plaident pour une séparation de l’Etat et de la religion,
considérant que cette dernière relève de la sphère privée. Ils s’inscrivent
dans la lignée de l’Egyptien Ali Abderrezak, auteur du fameux « l’Etat et
les fondements de la religion », publié en 1925 et qui lui avait valu d’être
exclu de l’université d’AL-Azhar. Ils militent pour une approche fondée sur la
raison et l’historiographie « une vision moutazilite ». Les plus
représentatifs de ces rationalistes sont le
Franco-Algérien Mohammed Arkoun
Toute la carrière et le combat de ce
penseur Franco-Algérien, né en 1928 en Kabylie, s’inscrivent dans la fonction
de médiateur culturel entre les sociétés méditerranéenne. Professeur à la Sorbonne
de 1961 à 1993, son enseignement consiste à relire l’histoire qui a opposé
l’islam à la chrétienté depuis Byzance jusqu’à l’Europe moderne relayée par les
Etats-Unis. Cette relecture, Arkoun
entend la faire à l’aide d’une nouvelle discipline, l’islamologie appliquée, laquelle
part de l’autocritique radicale de la pensée islamique afin de substituer une
connaissance scientifique des doctrines aux idéologies de combat. Ce travail de
critique se trouve illustré dans (lectures du Coran 1984, Humanisme et islam
2006, ou l’Islam et les musulmans en France depuis le Moyen Age jusqu’à nos
jours 2006 publié chez Albin Michel). Cette vision de critique de l’Islam, est
actuellement le fer de lance du (RCD et le MAK deux partis politiques qui
revendiquent l’autonomie de la Kabylie). Arkoun, fut très sollicité par les
protestants en Suisse et aux Etats-Unis notamment dans les milieux
intellectuels de Genève. Après la construction de l’université islamique de l’Emir Abdelkader à Constantine,
Arkoun a voulu postuler en tant que recteur, le président Chadli Ben Djadid s’y
oppose farouchement, ce qui conduira Arkoun à choisir le Maroc pour sa dernière
demeure. Depuis le VII siècle, jusqu’à nos jours la question de la
« Risala, mission de prophétie du messager de Dieu Mohammed » se pose
dans le cadre d’un débat interreligieux et il ne manquera pas d’avoir lieu avec
tous les tenants des religions de l’espace que l’islam va recouvrir, christianisme,
Judaïsme, Zoroastrisme, Bouddhisme, et Hindouisme. A l’intérieure de toutes ses
religions monothéistes (christianisme et Judaïsme, et philosophies comme
l’Hindouisme, Bouddhisme et Zoroastrisme), ces derniers se demandent encore si
le messager de Dieu Mohammed peut intercéder auprès de Dieu, dans quelles
conditions et en faveur de qui ? Là également les réponses seront
diverses. Cette critique sur l’islam et surtout sur l’authenticité de
« Mohammed » entant que sceau des prophètes et ayant accomplit
l’unicité divine à travers la dernière religion révélé aux hommes, le combat
des orientalistes et les laïcs arabes, ne connait pas de limites. Le problème
de l’Unité divine, lié à celui de la Transcendance, va mener à s’interroger à
partir de certaines formulations du Coran qui laissent entendre que Dieu
intervient à travers des attributs d’actions désignés comme Sa main, Sa face
etc. Corollairement, la promesse qui est faite aux élus de pouvoir contempler
Dieu au Paradis pose la même question d’une perception en termes physiques et
anthropomorphiques du Divin. Il y aura donc un débat sur la manière d’interpréter
les formulations Coraniques qui rendent compte de L’Agir divin dans des termes
clairement anthropomorphiques. Il y aura un débat sur le fait de savoir si Dieu
est une Essence absolue, radicalement transcendante, ou s’IL se donne à saisir
dans des formes intelligibles aux sens et à l’intellect humain. En termes plus
concrets, faut-il croire que Dieu voit, entend, et possède mains et
visage ? Faut-il croire que Dieu sera visible par les yeux de la créature
humaine, une fois gagné le paradis ? Dieu est-il omniprésent en tout lieu
ou est-il en un lieu propre ? De quelle manière est-il présent là où il
est présent ? Même la question de la parole de Dieu se pose également. De
quelle nature est le verbe divin révélé, le Coran ? Participe-t-il de
l’Essence de Dieu ou est-il une création de Dieu ? Toutes ses questions
sont véhiculées par les orientalistes et les laïcs arabes afin de semer le
doute sur le Coran et la Sunna du prophète Mohammed. Ce fut une époque, ou ses questions étaient le mot d’ordre des moutazilites,
et d’autres courants mais les savants comme Abou Hamed EL- Ghazali,
Ibn-Taymiya, Ibn-el-Kajym, et autres ont finis par triomphaient et le
raisonnements des moutazilites et autres ont étaient enterrer à jamais.
A notre époque, si on veut
résumer l’islam radical, il est difficile à saisir, les formes du radicalisme
musulman pouvant être extrêmement diverses, allant de l’utilisation politique
révolutionnaire du sentiment religieux, aux ingérences de l’occident dans les
politiques internes des pays musulmans. Les islamistes sont demeurés réticents
à réinterroger les fondements de l’islam et relativement fermés aux valeurs et
aux méthodes liées à la culture occidentales, si ce n’est la technologie et les
armes.
MOHAMMED CHERIF BOUHOUYA
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