vendredi 21 avril 2023

GÉOPOLITIQUE/ L'INDOPACIFIQUE 

Les nouvelles réalités géopolitiques du XXI siècle, en particulier la montée en puissance de l'Inde et de la Chine, sont mieux saisies en pensant à ces deux océans, aux îles qu'ils contiennent et aux pays qui bordent leur littoral, dans leur ensemble. La centralité de l'ASEAN et, géographiquement, de l'Asie du Sud-Est, invoquée dans la quasi-totalité des politiques indopacifiques répertoriées, tend à s'incarner dans l'émergence de l'Indonésie. État, archipel emblématique que sa dynamique de croissance, sa politique de non-alignement et sa localisation placent au cœur de l'Indopacifique. 


Le développement de stratégies étatiques liées à ce néologisme depuis plus de deux décennies souligne son importance et son pouvoir d'attraction. Il est la lecture des relations internationales qu'il propose, et ainsi largement mobilisé par les gouvernements, mais encore des acteurs régionaux tels l'ASEAN et l'Union européenne, comme un principe d'organisation à partir duquel sont faits les choix concernant leur position dans le futur ordre mondial. Fin 2022, la Corée du Sud et le Canada se sont rangés sous l'étendard de l'indopacifique. Les puissances montantes de l'Indopacifique, comme la Chine, la Russie, l'Inde et l'Indonésie, questionnent à des divers degrés l'ordre régional garanti par la  (pax americana). L'initiative chinoise de (Belt and Road "BRI"), mise en œuvre depuis 2013, propose ainsi une stratégie globale orientée sur la connectivité et la construction d'infrastructures dont le tracé se trouve dans l'espace indopacifique. Ils apparaissent ainsi comme deux cadres concurrents dans lesquels subsistent une Asie d'orientation libérale à domination stratégique en opposition à une Asie sinisée, à domination économique. Sous la bannière d'un " indopacifique libre et ouvert", des stratégies se sont construites en réponse à la menace d'un monde dominé par la Chine, perçue comme une puissance hégémonique. Elles soulignent un repositionnement d'acteurs qui, à l'instar du Japon ou de l'Australie, entendent défendre une diplomatie des valeurs aux côtés des Américains. L'Inde, qui a adopté le concept d'indopacifique, a jugé opportun de se joindre aux gardiens du statu quo, notamment au sein du forum de dialogue (Quad) où elle siège aux côtés des États-Unis, du Japon et de l'Australie, a fin de contrecarrer la puissance chinoise. Quant à la France, si elle a trouvé une stratégie de réaffirmer la légitimité de sa présence asiatique à travers le concept d'Indopacifique, son positionnement se veut celui d'une puissance d'équilibre ouverte à toute coopération, à rebours de ce qu'elle dénonce comme une logique de bloc. L'articulation de cette approche avec l'UE, sur les moyens de laquelle elle peut s'appuyer, lui octroie de nouvelles marges de manœuvre intensives. Néanmoins, cette tentative de typologie ne tient pas compte de la complexité des dynamiques en cours et de leur inscription dans un temps long et à une échelle suprarégionale. Pour le moment, l'avenir du concept d'indopacifique semble se dessiner entre des approches révélant une volonté d'intensité, dont l'effet immédiat est de polariser la région, et des approches de natures plus inclusives. Depuis sa popularisation en 2007, l'intensification de l'activité économique et de la concurrence géopolitique dans cette zone océanique sont considérées comme la raison d'être de la conceptualisation de l'Indopacifique en une région distincte. Cette interprétion n'est plus qu'une construction discursive, dont les racines se trouvent dans les inquiétudes de certaines capitales face à la prééminence croissante de la Chine. Plutôt qu'un produit naturel du déplacement de la puissance et de la richesse mondiales de la zone atlantique vers l'est, le terme indopacifique aurait été élaboré selon (la Chine et l'Inde) pour fournir un concept stratégique à l'affirmation chinoise. Jusqu'à présent, l'Indopacifique s'est concentrée sur le changement de l'équilibre des forces entre Washington et Pékin et sa position pour toute la région. Il est donc urgent pour la France d'élargir le débat sur l'indopacifique en adoptant un ensemble plus divers de perspectives et d'analyses. Le dynamisme de la région, notamment le taux global de croissance économique et la part de la puissance mondiale qui en découle, rendent compte des transformations rapides qu'elle connait. Si l'Indopacifique représente actuellement 40% de la puissance globale, le FMI prévoit qu'il pourrait représenter près de 55% du PIB mondial, et ses marchés 40% de la consommation globale, en 2040. 

UNE GOUVERNANCE MONDIALE AMPHIGOURIQUE  


Ce nouveau défi qu'incarne l'indopacifique engendre beaucoup de réticence. Il recouvre des constellations de pouvoir disparates :  petits à micro-États, grandes à moyennes puissances. Plus foncièrement, on y trouve des États qui soutiennent la structure de gouvernance mondiale actuelle et d'autres qui aspirent le remodeler, car perçue comme trop entrainés dans un grand débat audacieux sur l'Indopacifique. Ces remises en question s'expriment à de divers degrés dans l'adhésion ou le rejet du concept d'indopacifique. À ce stade, elles interrogent la résilience des organisations et des forums de dialogue et de coopération régionale qui y ont été mis en place, notamment l'ASEAN et ses élargissements : du format initial avec les dix États d'Asie du Sud-Est en 1967 à celui de l'ASEAN plus trois, en 1977, qui voit l'ajout de la Chine, du Japon et de la Corée du Sud. On peut encore mentionner le forum régional de l'ASEAN, établi en 1994 et dédié aux questions de sécurité qui, au-delà des dix pays de l'ASEAN et des trois d'Asie de l'Est, est passé à un format de 27 membres avec, notamment, les États-Unis, la Russie, l'Union-Européenne et la Corée du Nord. L'Asie du Sud y est sous-représenter avec uniquement l'Inde et le Pakistan. De même pour l'Océanie, qui se limite à l'Australie, la Nouvelle-Zélande et la Papouasie-Nouvelle-Guinée. En dépit de sa centralité mentionnées par les tenants de l'indopacifique, l'ASEAN ne peut incarner les dynamiques politico-économiques à l'œuvre au sein de ce vaste espace. À travers cet échiquier géopolitique caverneux, il importe de renforcer les capacités interactives d'organisations sous-régionales comme la Commission de l'océan Indien (COI) et en Asie du Sud, ou la communauté du Pacifique et le Forum des iles du Pacifique (FIP) en Océanie. Dans un contexte de compétition économique et de tensions sur les ressources, penser l'indopacifique entre ces différentes entités et autres forums interétatique de coopération pourrait concourir à la transition énergétique de ce vaste bassin. 
Enfin, la prééminence chinoise s'est imposée comme l'élément à partir duquel plusieurs États comprennent et font des choix quant aux mérites d'un ordre mondial encore flottant, incarné par la Chine, et un ordre plus au moins représenté par les États-Unis, mais qui ne satisfait plus. 


Ceci a conduit à une combinaison de hard et de soft power et aux débuts d'une approche coordonnée comprenant une superpuissance, les États-Unis, une puissance technologique et économique, le Japon, et deux puissances pivots, l'Inde et l'Australie. De plus, les États-Unis ont accentué leur emprise militaire dans le Pacifique occidental avec la signature du partenariat (AUKUS) avec l'Australie et le Royaume-Unis en 2021. En cela, la rhétorique des dernières stratégies indopacifiques américaines, comme de la National security stategy et les actions de Washington destinées à limiter l'affirmation chinoise, demeure cohérente. 

MOHAMMED CHÉRIF BOUHOUYA















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