samedi 16 janvier 2021

 GÉOPOLITIQUE/ ISRAËL/ RUSSIE : SOFT POWER ET ENJEUX STRATÉGIQUE

Célébrant en grande pompe les vingt-cinq ans du rétablissement de leur relation bilatérale, la Fédération russe et l’Etat Israélien poursuivent leur coopération soutenue dont les performances actuelles sont mues par une communauté d’intérêts partagés à forte valeur ajoutée dans plusieurs secteurs. En somme, entre coopération stratégique et synergie politique, le partenariat israélo-russe et en plein essor.


Il s’agissait pour Moscou de resserrer les liens avec un partenaire crucial dans le cadre de son pilotage du conflit syrien et de sa stratégie globale de lutte contre le terrorisme. Du côté israélien, le but officiel était d’obtenir des gages de la part des Russes quand à l’hypothétique création, hautement redoutée à Tel Aviv, d’une base militaire iranienne sur la côte méditerranéenne en Syrie. Sur la scène  moyen-orientale, le coup de maître de Poutine est d’voir réussi à maintenir une politique d’équidistance à l’égard de ses partenaires israéliens et iraniens en dépit de son intervention militaire en Syrie. Ce tout de force diplomatique a toutefois été rendu possible grâce à une coopération d’intérêts convergents autour du maintien de Bachar el-Assad au pouvoir : pour l’Iran, la préservation du régime actuel permet de renforcer ses positions régionales face à son rival Saoudien, aux monarchies du Golfe et à leur alliés occidentaux ; pour sa part, Israël préfère la sauvegarde en l’état d’un régime ennemi, mais familier, à l’instauration d’un chaos politique difficilement gérable ou à l’instauration d’une gouvernance islamiste potentiellement plus belliqueuse. Dans ce contexte, la présence russe en Syrie ne s’oppose pas frontalement aux intérêts d’Israël et conforte, bien au contraire, son double objectif visant, d’une part, à contenir l’influence grandissante de l’Iran et du Hezbollah Libanais. C’est dans cette perspective que Russes et Israéliens se sont rapidement entendus sur des mesures de coordinations militaire entre l’armée rouge et Tsahal, notamment pour éviter que des chasseurs israéliens n’abattent des avions russes opérant dans l’espace aérien Syrien et reproduire ainsi le scénario Turc. L’influence du Hezbollah reste la principale pomme de discorde entre Tel Aviv et le Kremlin. Les israéliens ont à maintes reprises exprimées leur inquiétude face aux transferts d’armes russes à destination des milices du mouvement chiite Libanais soutenu par l’Iran. L’Etat hébreu appréhende plus particulièrement une potentielle installation de troupes armées le long de la frontière syro-israélienne et l’intensification subséquente des attaques ciblées contre sa population. Il craint par ailleurs la formation d’un véritable croissant chiite qui irait de l’Iran au Liban, en passant par l’Irak et la Syrie, ce qui étendrait ostensiblement l’influence de l’Iran au Proche et au Moyen-Orient, avec le risque évident d’une confrontation directe avec Israël. Cette menace plane également au sein des monarchies arabes a majorité sunnites, menant ainsi une guerre froide directe avec l’Iran. Vu du Kremlin, les rapports cultivés avec la partie iranienne ne constituent pas un obstacle substantiel à l’approfondissement de la coopération israélo-russe. La Russie se persuade de plus en plus que le positionnement sécuritaire d’Israël face à l’Iran est une posture rhétorique destinée à soutirer aux américains des compensations avantageuses en termes d’armements, à l’image du contrat d’aide militaire de 39 milliards de dollars signé en 2016 entre Washington et Tel Aviv. En se sens, pour Moscou les liens entretenus le Hezbollah demeurent strictement tactiques et n’ont pas vocation à perdurer dans le temps ; et ils ne posent aucun défi existentiel majeur pour Israël, tout en affirmant que les capacités de nuisance du Hezbollah restent vulnérables, bien que récurrentes.  Après avoir nié durant des années la fourniture d’armes conventionnelles au groupe chiite, la Russie a finalement répondu aux craintes israéliennes par le biais de son ambassadeur, lequel à assurer Israël de la suspension de ces transferts d’armements. En contrepartie, Poutine a rappelé Netanyahou qu’il entendait régler le conflit en Syrie avec l’appui de toutes les forces antiterroristes, y compris le Hezbollah. Ce différentiel d’interprétation de la menace effective du groupe chiite et plus largement lié à l’Iran, s’explique en partie par l’absence d’actes terroristes d’obédience chiite sur le territoire russe au cours de l’histoire récente. Parallèlement, si les frappes américaines sur la base syrienne risquent de modifier la conduite russe en Syrie en renforçant la coopération militaire avec ses partenaires iraniens et ceux affiliés au Hezbollah, le lien étroit entre Moscou et l’Etat hébreu dans la lutte contre le terrorisme ne devrait pour autant pas en pâtir, tant sont tangibles les intérêts.  Concernant le soutien mutuel dans la lutte contre le terrorisme, l’ambassadeur israélien en Russie a été le premier à proposer son assistance aux unités antiterroristes russes. Le renforcement de l’échange d’informations et des exercices conjoints entre élites policiers est d’ailleurs l’une des priorités politiques des deux pays. Pour le Kremlin, le modèle israélien repose principalement sur le renforcement de la prévention situationnelle (fouilles systématiques, affectation de barrage, recrutement d’agents de sécurité), la diversification des formes de renseignement (fuite d’information orchestrée, contrôle et surveillance d’internet, cyberattaques) et la projection de la technologie (drones, robots etc…)  Le modèle Russe privilégie surtout les deux premiers éléments, le plus souvent au détriment du dernier. Rendues publiques, les dernières données du Comité antiterroriste national  (NAK), font état de l’élimination de quarante-six cellules aux ramifications internationales et de l’évitement de seize attaques sur un ensemble de neuf villes russes. Moscou convoite avidement la haute technologie israélienne qui lui fait encore défaut, notamment dans le cadre de ses activités prioritaires visant à contenir la menace terroriste dans les régions du Nord-Caucase et de l’Oural, ainsi que dans les confins centrasiatiques où la corruption et l’instabilité politiques constituent de véritables terreaux pour l’émergence du terrorisme dans la région. C’est dans cette optique que les Russes soutiennent ouvertement et sans ambages la collaboration sectorielle concernant le domaine militaro-industriel.

UN SOUTIEN FERTILE EN MATIÈRE D'ARMEMENT 

Il s’agit d’abord de tisser des liens étroits entre les industries russes et israéliennes, et obtenir selon le rationnel israélien, un marché privilégié au marché russe de l’armement. Pour le Kremlin, la coopération avec un ancien adversaire soviétique visait plus particulièrement à combler le retard technologique par rapport aux nouveaux alliés occidentaux et à moderniser un arsenal militaire vétuste.  En d’autres termes, l’imbrication quasi symbolique des complexes militaro-industriels israéliens et russe relève plus particulièrement d’un effet de complémentarité  entre les créneaux de production respectifs des deux Etats. Israël dispose d’un savoir-faire mondialement réputé en termes de technologie de pointe (logiciels ultra-performants, produits nanotechnologiques, armes laser) ; et la Russie se spécialise, dans la production de matériels lourds (avions, hélicoptères, chars d’assaut, sous-marins). La valeur ajoutée se situe donc au niveau de l’intégration des technologies israéliennes au sein des véhicules, des navires et des aéronefs militaires russes afin de faire des produits d’armements facilement exportables à l’étranger. Quand à Moscou, l’appui technologique israélien s’insère dans une stratégie globale de modernisation du matériel et de l’équipement militaire russe, d’adaptation des armes aux normes de l’OTAN et d’élargissement des différentes gammes de produits que la Russie peut escompter ventre. Deux contrats portant sur l’achat de drones tactiques israéliens ont étaient signés à hauteur de 135 millions de dollars et le commerce bilatéral passant d’environ 1 milliard de dollars à plus de 3,6 milliards. Et selon le Centre d’analyse du commerce mondial d’armes basé à Moscou, Israël se serait engagé à fournir à l’armée russe (deux  Bird-Eye 400, huit I-View MK 150 et deux Searcher MK2).  Dans le secteur énergétique, la récente découverte de gisements d’hydrocarbures au large des côtes israéliennes en 2009 a, dans un premier temps, été perçue par Gazprom comme une potentielle menace sur ses exportations en Europe. Pour autant, le géant gazier s’est fait force de proposition en répondant à deux premiers appels d’offres lancés par Israël. Mais après avoir remporté un contrat  (2013) portant sur la production et la commercialisation de gaz naturel sur le site israélien de (Tamar), la multinationale russe a esquissé  plus tard les prémices d’un projet de raccordement des hydrocarbures israéliens au futur gazoduc russe devant approvisionner l’Union-Européenne du Sud. Dans un autre ordre d’idées, des négociations sont en cours pour la création d’une zone de libre-échange entre Israël et l’Union eurasiatique, créée en 2015 par Poutine et réunissant, outre la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan, l’Arménie et le Kirghizstan.

C’est ainsi qu’au regard des accointances russes avec les ennemis officiels d’Israël, les liens multisectoriels que tissent Moscou et l’Etat Hébreu apparaissent ostentatoirement, au premier abord, irrationnels, sans oublier le génocide perpétrée contre la population Syrienne par le triangle Russie-Israël-Iran.  En plus, la reconnaissance par Moscou de Jérusalem-Ouest comme capitale d’Israël manifeste clairement le souci russe de préserver ses intérêts stratégiques avec son partenaire israélien, notamment en ménageant ses sensibilités politiques.

MOHAMMED CHERIF BOUHOUYA


N.B : De nos jours, la communauté russophone et ex-soviétique constitue le groupe ethnico-culturel de loin le plus important, avec plus d’un million et demi de personnes, soit environ 15% de la population. Cette forte présence tend à faire de l’Etat israélien un nouveau monde russe dont l’influence est devenue incontournable dans la vie politique et sociale israélienne. Cette immigration massive, renforce les capacités nationales de défense de l’Etat israélien : plus de 25% des soldats de Tsahal seraient russophones.  Pour certains, l’expérience acquise sur les fronts Tchétchène, en Syrie ou Géorgien apporte une valeur ajoutée appréciable du point de vue stratégique.  En vingt-cinq ans, elle a façonner une véritable identité du groupe, a tel point qu’une élection ne peut se gagner en Israël sans le vote communautaire des juifs russophones. Avigdor Liberman, son fondateur, est d’ailleurs l’un des principaux porte-parole de la communauté au sein du gouvernement israélien. Ses nominations successives aux affaires étrangères (2013-2015) puis à la défense  (2016) témoignent du poids considérable qu’exerce de nos jours la communauté russophone, surtout sur la prise de décision politique.

 

 

 

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