GEOPOLITIQUE/ LES TERRITOIRES DEMEURENT ENCORE LE PIVOT DE L'HEGEMONIE ? "
Il n'y a pas de
géopolitique sans prise en compte de l'espace". La biogéographie conçoit
l'Etat comme forme d'extension de la vie à la surface de la terre, écrivait
( Friedrich Ratzel 1844-1904) dans sa Géographie politique en 1897. Pour la
géopolitique classique de la fin du XIX siècle et du début du XX siècle,
l'ampleur du territoire que contrôle un Etat est le fondement même de sa
puissance.

Il cherche à l'étendre par la guerre avec les pays voisins, les
conquêtes coloniales ou l'exploration de terres encore vierges ( la Sibérie
pour les Russes ou la conquête de l'Ouest pour les Américains avec son
assortiment de génocide; sans oublier le racisme colonial et la
stérilisation forcée du Danemark contre les minorités du Groenland 130 000
femmes "1960-1970", et le même scenario en Amérique Latine par la CIA). En
outre, les territoires n'ont pas tous la même valeur, qui dépend de leur
situation, de leur accessibilité, de leurs richesses naturelles et humaines.
"Depuis, la donne a changé. Les grandes constructions impériales sont
mortes. L'espace terrestre étant divisé en près de deux cents Etats, la
puissance s'identifie-t-elle encore au sol ? Ne se définit elle pas plutôt
par la manipulation et le contrôle des flux de biens, d'argent, de
personnes, d'images"? s'interroge le politologue Philipe Moreau Defarges.
Dans l'histoire, aussi bien en Europe qu'en Asie, en Afrique ou dans
l'Amérique précolombienne, les puissances ont presque toujours été des
empires; leur étendue assurait leur force et leur force permettait leur
extension. Les analystes discutent néanmoins aujourd'hui de l'ampleur des
profits qu'ont réellement tiré de leurs colonies la Grande-Bretagne ou la
France si l'on tient compte des coûts de mise en valeur et de défense de ces
territoires. " Comme si, pris d'une folie des grandeurs impériales, Paris et
Londres démesurément vastes", note Florian Louis. La domination Américaine
sur le monde aprés la Seconde Guerre prendra ainsi d'autres formes. Mais
nombre de gnomes pays, en termes de superficie, peuvent avoir par leur
richesse, comme le Qatar ou les Emirats, par leur longue expérience de
médiation comme la Suisse, leur autorité morale comme le Vatican ou leur
capacité militaire comme Israël, un poids significatif sur la scène
internationale. Les flux immatériels accentuent encore un peu plus la
déterritorialisation de la puissance, mais celle-ci conserve cependant son
ancrage. C'est vrai pour les GAFAM, prospérant sur les immenses capacités de recherche et d'innovation américaine qui attirent des chercheurs du monde
entier. L'internet est toujours plus étroitement contrôlé sur leurs
territoires par les régimes autoritaires qui disposent ainsi de nouveaux
moyens de puissance, de surveillance et de manipulation. La mondialisation
et l'immatériel rendent la géopolitique plus complexe; ils ne l'abolissent
pas, comme est venue nous le rappeler l'agression russe en Ukraine qui se
déroule autant dans le cyberespace, l'espace extra-atmosphérique que dans
les tranchées du Donbass.
LES ETATS-NATIONS ET LA SOUVERAINETE ETATIQUE
La
nation, c'est un peuple libre et souverain et une société fondée sur le
contrat social cher à " Jean-Jacques Rousseau. La République incarne
l'accomplissement d'un Etat-nation déjà en gestation dans les royaumes tels que celui de France ou des l'Angleterre. Deux siècles plus tôt, le vieux Continent
était morcelé entre duchés, principautés, cités États, mais aussi empires :
en tout, quelque 200 entités étatiques à l'orée du XVI siècle. En 1815, lors
du congrès de Vienne, qui aprés l'aventure napoléonienne posait les bases
d'un concert européen, il n'y en avait déjà guère plus d'une vingtaine
autour de la table. L'Etat national s'est avéré plus apte que les autres à
mobiliser la force militaire, faire la guerre et la gagner tout en
satisfaisant les intérêts de sa base de pouvoir, les classes moyennes et
marchandes. Le terme même d'Etats est tardif. Il ne commence à être défini
clairement qu'au XVI siècle sous la plume de juristes et philosophes comme
Nicolas Machiavel, Jean Bodin, Thomas Hobbes, dont les écrits fondent l'idée
du pouvoir politique souverain hors de toute considération ( morale ou
religieuse.) L'Etat-nation s'est étendu à tout le Vieux Continent au XIX
siècle avec l'unification allemande menée par la Prusse et italienne par le
Piémont. Des peuples unis par une même langue et une même culture se
constituaient en un Etat commun. Après 1918, ce modèle politique triompha
aussi à l'est du continent sur les décombres des empires centraux, alors que
se dessinait une nouvelle carte de l'Europe avec le traité de " Versailles"
et ses annexes ( Sèvres, Saint-Germain, Trianon". Ces nouveaux Etats
englobaient nombre de minorités ethniques et autant de conflits latents.
L'après Seconde Guerre mondiale paracheva le processus d'homogénéisation
nationale, surtout dans les pays sous domination soviétique. Une décennie
plus tard, les Etats nés de la décolonisation ont repris ce modèle bien que
leurs frontières tracées par les ex puissances coloniales soient en très
large part arbitraires. Si les Etat-nation restent le sujet central du système
international, il recoupe des réalités très différentes, notamment pour la
définition de la nation. Héritée de la révolution et des Lumières, la vision
française est ouverte. En opposition à l'universalisme des Lumières. Les
différences ont longtemps perduré notamment pour l'acquisition de la
nationalité, la France privilégiant le droit du sol alors que l'Allemagne,
L'Italie et tant d'autres faisaient primer celui du sang. Quand a la
souveraineté étatique, parfois elle commence par " l'Etat, c'est moi" : la
célèbre formule attribuée à Louis XIV est probablement apocryphe mais n'en
résume pas moins la volonté de pouvoir absolu du monarque dépositaire de la
souveraineté. Ce modèle de souveraineté reste toujours vivace notamment au
sein des monarchies arabes comme l'Arabie Saoudite, les Emirats, le Sultanat
d'Oman, le Bahreïn, le Koweït, L'Egypte, le Maroc, la Tunisie, la Libye,
l'Iran, Israël, de Hafftar, la Chine, la Russie, la Corée du Nord
et dans certains dictatures à travers le monde. La République, elle, se
fonde sur la souveraineté du " peuple". Les formes de l'Etats peuvent être
très différentes : de nature monarchique, oligarchique, théocratique,
dictatoriale, républicain, démocratique, etc. Il peut être unitaire et
centralisé, ou fédéral. Un Etat, quel que soit son régime, c'est d'abord un
territoire délimité par des frontières, des institutions propres et une
population. L'Etat fait la loi, juge, lève l'impôt, maintient l'ordre,
décide de la guerre et de la paix. Il est celui qui fixe les règles
garantissant la paix civile, laquelle permet de ne plus vivre dans l'état de
nature et dans la pusillanimité. ( En vertu du pouvoir que lui a conféré
chaque individu singulier, dispose de tant de puissance et de force
rassemblées en lui que la terreur qu'elles inspirent lui permet de modeler
les volontés de tous les hommes afin de pacifier l'intérieur et de
s'entraider face aux ennemis de l'extérieur", écrit Thomas Hobbes (
1588-1679). En revanche, le monde des relations internationales est resté
celui de la guerre de tous contre tous, faute d'une autorité commune
unanimement reconnue. Les Etats, quelle qu'en soit leur forme, se sont
façonnés par la conquête élargissant leurs territoires et dépeçant leurs
rivaux. Depuis que la race humaine est sur la terre, Ils se font la guerre,
mais c'est surtout la guerre qui les fait. " Proclamer l'injustice
intrinsèque de la force, c'est décréter l'injustice originelle de toutes les
normes juridiques inconcevablement en dehors des Etats, notait Raymond Aron,
"dans paix et guerre entre les nations". Paradoxalement, les rêves d'un
multilatéralisme et d'un ordre international qui ne serait plus celui de la
force pure mais du contrat entre les nations comme entre les citoyens ont
commencé à prendre forme avec les Lumières. Les tragédies du XX siècle ont
incrustés cette réflexion. Ce sont les Etats du Vieux Continent, jadis
berceau du monde, qui en préparent le dépassement. La Communauté économique
européenne puis l'Union européenne ont inventé une souveraineté partagée.
Les Etats membres renoncent volontairement à une partie de ce qui
constituait leurs prérogatives exclusives, comme la monnaie avec l'euro ou
les frontières avec l'espace Schengen. Durant des siècles, la souveraineté
fut l'aiguillon de la modernité et de la liberté des peuples. Elle ne l'est
plus. selon certains analystes.
PUISSANCE/ SUPERPUISSANCE ET LA FORCE
MILITAIRE
Au sein de l'assemblée générale des Nations-Unies, les Etats
membres disposent chacun d'une voix, mais certains sont plus égaux que les
autres. Les épreuves de l'échec de la Société des Nations dans
l'entre-deux-guerres, l'ONU a créé un Conseil de sécurité qui en est
l'organe suprême, composé de cinq membres permanents qui sont les alliés
vainqueurs du nazisme, depuis tous dotés de l'arme nucléaire et disposant du
droit de veto. Se sont les grandes puissances avec un évident primat des
Etats-Unis, suivie par la Chine, puis loin derrière par la France, le
Royaume-Uni et une Russie qui revient en force. Mais ce statut au sein de
l'ONU ne suffit pas à définir ce qu'est une grande puissance, d'autant qu'il
est de plus en plus contesté par les puissances émergentes. Le système
international a toujours été oligarchique, ou hégémonique : quelques
acteurs, appelés grandes puissances, ont dominé la scène et fixé les règles
non écrites de la compétition, relevait "Raymond Aron ( 1905-1983). Ce rôle
découlait du volume de leurs ressources comme de leur force militaire.
L'exemple le plus achevé d'un tel condominium des puissances fût le "
concert européen" tel qu'il fut mis sur pied par le congrès de Vienne en
1815 aprés la débâcle de l'aventure napoléonienne, réunissant les vainqueurs
: l'Angleterre, la Prusse, l'Autriche, la Russie, mais aussi la France
vaincue. C'est aussi à cette époque que la notion de grande puissance
apparaît. ( Un Eta obtient ce statut non seulement parce qu'il dispose de
ressources militaires et économiques supérieures à celles des autres mais
aussi parce que les autres Etats reconnaissent qu'il possède un statut
supérieur dans la société internationale), écrit Fabrice Argounés dans "
Théories de la puissance". Etre coopté dans le club des grands conférait
certains droits : aucune affaire d'importance ne devait être traitée à
l'intérieur du système sans que toutes les puissances fussent consultées.
D'où tout au long du XIX siècle, la longue série de conférences
internationales et les traités pour se partager l'Afrique ou réguler les
agitations balkaniques. Chaque avantage gagné par l'un des grands acteurs
impliquait que les autres obtiennent des compensations. La première Guerre
mondiale balaya ce système. Le grand rêve de rendre la guerre impossible
lors de la conférence de paix de Versailles créa la Société des Nations,
fondée sur l'égalité entre ses membres. Une ébauche de démocratie mondiale
qui fut un échec. Après le second conflit mondial s'est constitué un monde
bipolaire, dotées de l'arme nucléaire. Chacune domine son système
d'alliances : L'OTAN pour les Occidentaux, le pacte de Varsovie à l'est avec
les démocraties populaires de fait occupées par la Russie. Les tiraillements
au sein de chacun des deux blocs sont réels. A l'ouest, la superpuissance Américaine est relativisée par l'idée Gaullienne de grandeur et par la
puissance économique acquise par l'Allemagne et le Japon. A l'est, la
prééminence soviétique est contestée par la Yougoslavie de Tito et par la
Chine de Mao.
Avec la chute du mur de Berlin en 1989, puis l'effondrement de
l'URSS deux ans plus tard, surgit le mot d'Hubert Védrine, une
"hyperpuissance", avec l'hubris qui en découle et ses inévitables échecs.
Meme s'ils ne sont plus la seule superpuissance avec la montée en force de
la Chine, les Etats-Unis restent loin la première, et notamment sur le plan
militaire, concentrant à eux seuls quelque 40% des dépenses d'armement dans
le monde.
MOHAMMEDCHERIF BOUHOUYA
EXTRAIT DU LIVRE PROCHAINEMENT EDITE
GEOPOLITIQUES-GEOSTRATEGIE/ SOUS LE JOUG DES SUPERPUISSANCES
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