LA GEOPOLITIQUE ET LA GEOSTRATEGIE
SOUS LE JOUG DES SUPERPUISSANCES
PREFACE
Le terme géopolitique suscite trois interrogations. La fréquence de son usage public est souvent proportionnel à l'absence de précision de sa définition. La récurrence à travers les siècles, des cartes mentales implicites qu'il véhicule, jusque dans les cercles de la décision, ne laisse pas d'étonner. Enfin, la tension entre une fonction d'analyse méthodique et objective de l'état du monde et une autre fonction de production ou de réserve d'argumentaires pour la décision dans les matières internationales devrait inciter lecteurs et auteurs à une attitude plus critique.
Malgré les relents de déterminisme que présente encore bien des dictionnaires spécialisés et des raisonnements fréquents ( la géopolitique y est présentée, à tort, comme l'influence des milieux, de la " géographie", sur les jeux politiques), des progrès ont été accomplis dans la définition de cette notion, notamment sous l'effet des travaux de géographes considérant que les questions politiques et internationales relevaient de leur champ d'investigation. La démarche géopolitique vise essentiellement à élucider les interactions entre les configurations spatiales et ce qui relève du politique. Un Etat, c'est d'abord un territoire, fondement de la puissance, même si ce constat pourrait être de plus en plus nuancé à l'heure de la globalisation et de la montée en force d'acteurs transnationaux non étatiques. Les gouvernements et les régimes passent mais les constantes géographiques demeurent, ainsi que leur représentation dans l'imaginaire des sociétés et dans les choix de leurs dirigeants. En cela, la carte précède souvent le territoire autant qu'elle en procède. La géopolitique et ses fondamentaux nous ont rattrapés afin de voir le monde tel qu'il est, dans la réalité crue de sa violence et des rapports de force. Face à ce défi constant, nous essayant de clarifier à nos lecteurs les amères réalités de notre monde où seule compte l'hégémonie du plus fort.
La notion de géopolitique fut forgée par le géographe allemand " Friedrich Ratzel 1844-1904. Et aprés, c'est " Rudolf Kjellén" qui crée le mot en 1905. Il définit la géopolitique comme " la science de l'Etat en tant qu'organisme géographique, tel qu'il se manifeste dans l'espace". La géopolitique de notre époque est une géopolitique politique, une tentative d'explorer la capacité de la géographie, jusqu'là discipline essentiellement descriptive, à devenir un outil d'analyse et de compréhension. Avec comme objectif de déterminer les enjeux d'Etats conçus comme des êtres vivants. Le terme géopolitique a connu certes un certain déclin Durand une période longue, laissant la place à une approche en termes de relations internationales appuyée sur des modèles sociologiques. Néanmoins, la discipline a su rebondir, et elle est de retour au premier plan, car comprendre le monde qui arrive implique de comprendre d'où il vient.
ANALYSER LA COMPLEXITE DE L'ETAT DU MONDE
La diffusion du concept de géopolitique dans le dernier quart du XX siècle répondait à la la nécessité d'analyser la complexité de l'état du monde, dont chacun apercevait qu'elle n'était plus entièrement contenue dans une grille de lecture bipolaire, exprimée par une représentation Est Ouest. L'échec politique américain dans la guerre du Vietnam, en 1975, les deux chocs pétroliers de 1973 et 1979, crise pour les pays producteurs, les guerres israélo-arabes, les guerres afghanes à partir de 1973, la force de contestation de l'islamisme radical, la première guerre du Golfe ( Iran- Irak ), les colonisations violentes en Afrique lusophone ( Angola, Mozambique surtout), et bien d'autres crises très localisées, ont rappelé, notamment en raison de leur impact sur les sociétés développées, le besoin impératif de penser les crises et les intérêts d'Etat de manière plus spatialisées. Les transitions difficiles et les conflits ouverts dans l'est de l'Europe aprés 1989 ( guerres yougoslaves, Kosovo notamment ) ont confirmé cette utilité, argumentaires cartographiques à l'appui. L'analyse géopolitique ne se limite pas à l'étude des rivalités territoriales et de leurs répercussions sur l'opinion. Ce n'est pas une conflictogène, qui aurait pour prémisses que les représentations territoriales contradictoires et antagonistes. Ce dualisme limite l'objet à l'étude des rivalités de pouvoir sur les territoires. La connaissance des conflits les plus contemporains montre que cette qui sont à l'ordre de 120 conflits dans le monde, montre que cette analyse est réductrice et sous-estime le jeu des dynamiques sociales, politiques, économiques. Elle n'est d'ailleurs pas très éloignée de certaines théories élaborées à la fin du siècle précédent selon lesquelles, sous l'effet du déterminisme scientifique ambiant et du poids des luttes nationales, l'Etats était assimilé à un organe cherchant à fixer, à l'intérieur de frontières favorables pour un seul, un espace décrit comme vital - Friedrich Ratzel ( 1844-1904), Karl Haushofer ( 1869-1946 ). Il est certes indispensable de rendre compte des conflits les plus actuels qui intègrent des dimensions territoriales, mais il convient d'éviter de généraliser, à partir de ces types particulier de conflits, une démarche scientifique globale.
PENSEES DE LA CONTENTION ET DU REFOULEMENT
Une autre forme de récurrence des représentations géopolitiques à travers le siècle a trait à une lecture d'un monde structuré en puissance soit " maritimes " soit " continentales " à la suite de Halford Mackinder ( 1861-1947 ), de Nicolas Spykman ( 1893-1943 ) mais aussi de George Kennan ( 1904 ) et de Zbigniew Brezinski. Les puissances dites " maritimes", étaient assimilées à des répliques d'Athènes démocratiques par opposition, en rivalité avec des Etats continentaux voués au despotisme. Dans ce schéma explicatif, l'enjeu central de l'hégémonie mondiale était présenté comme celui du contrôle de l'Eurasie, par la contention/ endiguement, qui a justifié l'absurde guerre du Vietnam, l'installation de bases navales et aériennes sous contrôle américain de la Norvège aux iles Aléoutiennes, en passant par la Méditerranée, le golfe Arabo-Persique, les iles de l'océan occidental, la Corée du Sud et le Japon, avec ses répliques plus continentales chez l'adversaire soviétique. A la fin du siècle, l'avancée des structures de sécurité, présentées comme "euro atlantique", en direction de la mer Baltique, de la mer Noire, de la mer caspienne a coïncidé avec un projet de refoulement de l'influence russe, selon une logique du ( grand échiquier), tel que décrit par Brezinski, qui fonde sa stratégie sur la notion d'une " lutte géopolitique pour l'Eurasie "On trouve une référence stratégique comparable chez " Henry Kissinger" lorsqu'il écrivait dans son ouvrage "Diplomatie": Sans l'Europe, l'Amérique risquerait de devenir une ile au large de l'Eurasie. "De ces représentations géopolitiques à vocation globale se déduisent des stratégies plus concrètes d'expansion de l'OTAN vers le centre et l'est du continent européen et des tentatives d'instrumentalisation de l'élargissement de l'Union européenne.
LE SIMPLISME DES THESES CIVILISATIONNISTES
Une récurrence est plus surprenante à l'heure des réseaux globalisés, à savoir l'écho, et souvent le succès, des thèses civilisationnistes. Au début du siècle, le discours dominant sur le vaste monde opposait la supériorité de la civilisation occidentale aux espaces et aux sociétés à coloniser. Les termes d'" Europe "et d' "Occident" connotaient sans ambiguïté cette mission civilisatrice. Dans la dernière décennie du siècle, une carte mentale simplifiée tend à s'imposer, selon laquelle un bloc solidaire incluant l'Amérique du Nord, l'Europe et la Russie devrait se constituer face aux menaces issues des autres mondes, définis selon des critères univoques d'origine religieuse : mondes musulman, hindouiste, confucéen. Cette vision simpliste, défendue par l'Américain "Samuel Huntington", sert de support à deux attitudes contrastées : soit une posture défensive, puisque le monde globalisé fait peur à ceux qui, pourtant, en sont les premiers promoteurs et les grands bénéficiaires, soit, à l'inverse, une volonté d'ingérence où des organisations non gouvernementales ( ONG ) et certains Etats se comportant parfois, non sans arrogance, comme des missionnaires laïcs, dans un esprit guère différent sur le fond de celui qui anima les entreprises coloniales à la fin du XIX et au début du XX siècle.
DISCOURS DE LA METHODE ET AIDE A LA DECISION
Il n'est pas surprenant que la globalisation/ mondialisation induise de nouvelles grilles de lecture simplificatrices, destinées à répondre aux inquiétudes qu'engendrent la méconnaissance de l'Autre avec qui on entre en relation, ne serait-ce que pour des raisons commerciales ou par le truchement des images des médias, et l'insuffisance des mécanismes de dialogues et de régulation. C'est pourtant dans l'explication de la complexité, de la diversité du monde réel que la démarche d'analyse géopolitique trouve sa raison d'être. Elle apparait partagée entre deux exigences : celle de fournir des grilles de lecture pertinentes, objectives, critiques de l'état du monde, sans pouvoir s'abstraire complétement du contexte sociopolitique singulier dans laquelle elle s'énonce; celle de son articulation avec les cercles opérationnels. L'analyse géopolitique a ainsi une fonction pédagogique essentielle : elle est un discours de la méthode sur le monde en tant que tel unifié et diversifié; elle décrit le rôle des facteurs et des acteurs structurant dans des situations localisées et concrètes. Elle peut aussi contribuer à éclairer opérateurs et décideurs en leur fournissant analyses et gamme d'options. En tout état de cause, sa fonction doit être de présenter les éléments objectifs du débat démocratique sur les grands enjeux planétaires qui ont des impacts sur les sociétés nationales et les modes de gestion de leur territoires. Dans le cas particulier de l'Europe, des enjeux aussi divers que l'élargissement géographique de l'Union européenne, la nature des relations politiques entre nations singuliers et institutions supranationales, la promotion d'un ordre multipolaire de type coopératif et régulé, et la mise en place des facteurs d'une mondialisation civilisée sont des champs de réflexion majeurs. La tache civique des spécialistes de l'analyse géopolitique est alors d'en éclairer les termes aux yeux des opinions et de diffuser les données objectives des débats, préalables aux décisions collectives. Une géopolitique ainsi conçue devient une pédagogie pour l'action, une praxéologie et à tout le moins pour le débat public, fondement d'une citoyenneté renouvelée devenant capable d'un rapport constructif de notre monde.
LA GEOPOLITIQUE FRANCAISE : NAISSANCE ET EXPANSION
La géographie a constitué en France au XIX siècle, comme dans les autres pays européens, un des éléments centraux de la conscience nationale, forgeant les représentations de l'espace et les rapports entre l'homme et cet espace. Ce n'est qu'auprès le choc de la défaite de 1871 que l'enseignement de la géographie entra véritablement à l'université française, trente ans aprés la Prusse, avec la création en 1873 d'une chaire à l'université de Nancy qu'occupa ( Paul Vidal de la Blanche 1845-1918. ) Une réponse à l'Allemagne, qui venait de créer dans Strasbourg occupée une chaire de géopolitique. Vieille nation qui fut longtemps la plus puissante d'Europe, la France avait découvert sa fragilité. D'entrée de jeu, la géopolitique française a marqué sa différence, refusant ce qu'elle jugeait être le déterminisme excessif de l'école ratzelienne. Le précurseur fut incontestablement ( Elisée Reclus 1830-1905 ), immense et prolifique géographe, auteur notamment d'une " nouvelle géographie universelle " en dix-neuf gros volumes publiés entre 1872-1895, mais aussi figure de proue de l'anarchisme, ami de Bakounine et de Kropotkine. Cette proximité avec les révolutionnaires russes explique sa marginalisation par le monde universitaire. Il fut pourtant, comme le souligne Yves Lacoste, le père intellectuel d'une géopolitique à la française selon laquelle
" la géographie n'est que l'histoire dans l'espace de même que l'histoire est la géographie dans le temps". Elisée Reclus reste inclassable et son œuvre tomba dans un injuste oubli malgré de fortes intuitions, y compris sur l'écologie. Paul Vidal de la Blanche, le fondateur de l'école géographique française, est en revanche consubstantiel aux institutions de la III République et à la vision du monde positiviste qu'elle portait. Il fut notamment l'auteur en 1903 du ( tableau de la géographie de la France ,tom I de l'Histoires de France d'Ernest Lavisse, œuvre pilier du roman national républicain." Ses principaux disciples dont " Camille Vallaux 1870-1945" et surtout Jaques Ancel ( 1882-1943 ) vont reprendre ce drapeau d'une géopolitique "possibiliste", selon le mot de l'historien Lucien Febvre, fondateur de l'école des Annales. A la différence des géopoliticiens allemands ou même anglo-saxons, Jacques Ancel s'intéresse moins à la puissance qu'aux hommes qui peuplent les territoires et à leurs représentations. " La civilisation est la lutte contre les obstacles que la nature a semés sous les pas de l'homme", notait- il en 1936 dans " La géopolitique", premier ouvrage en France à porter un tel titre. Lucidement, il fut l'un des premiers à dénoncer les dangers d'une Geopolitik allemande qui fournissait les armes intellectuelles du nazisme. Chassé de l'université en 1940 parce que juif, interné au camp de Royallieu à Compiègne, il meurt des suites des privations alors subies, laissant son œuvre inachevée. L'influence de l'école française de géopolitique a été notable, imprégnant le débat intellectuel bien au-delà du monde universitaire. Dans son " Introduction à la géopolitique", Philippe Moreau Defarges relève ainsi que " l'originalité de De Gaulle dans son mode de raisonnement spontanément géopolitique". Cela était vrai dès l'appel du 18 juin 1940 où il fondait son refus de la capitulation par le fait que la France n'était pas seule dans une guerre mondiale. Ou plus tard, une fois au pouvoir, par ses références constantes à l'espace, au temps et à la permanence des nations, même si elles restent fragiles comme toutes les œuvres humaines. Il parlait toujours de Russie, et pas d'Union soviétique.
LES TERRITOIRES DEMEURENT ENCORE LE PIVOT DE L'HEGEMONIE ?
" Il n'y a pas de géopolitique sans prise en compte de l'espace".
La biogéographie conçoit l'Etat comme forme d'extension de la vie à la surface de la terre, écrivait ( Friedrich Ratzel 1844-1904) dans sa Géographie politique en 1897. Pour la géopolitique classique de la fin du XIX siècle et du début du XX siècle, l'ampleur du territoire que contrôle un Etat est le fondement même de sa puissance. Il cherche à l'étendre par la guerre avec les voisins, les conquêtes coloniales ou l'exploration de terres encore vierges ( la Sibérie pour les Russes ou la conquête de l'Ouest pour les Américains avec son assortiment de génocide; sans oublier le racisme colonial et la stérilisation forcée du Danemark contre les minorités du Groenland 130 000 femmes "1960-1970" et le même scenario en Amérique Latine par la CIA). En outre, les territoires n'ont pas tous la même valeur, qui dépend de leur situation, de leur accessibilité, de leur richesses naturelles et humaines. "Depuis, la donne a changé. Les grandes constructions impériales sont mortes. L'espace terrestre étant divisé en près de deux cents Etats, la puissance s'identifie-t-elle encore au sol ? Ne se définit elle pas plutôt par la manipulation et le contrôle des flux de biens, d'argent, de personnes, d'image"? s'interroge le politologue Philipe Moreau Defarges. Dans l'histoire, aussi bien en Europe qu'en Asie, en Afrique ou dans l'Amérique précolombienne, les puissances ont presque toujours été des empires; leur étendue assurait leur force et leur force permettait leur extension. Les analystes discutent néanmoins aujourd'hui de l'ampleur des profits qu'ont réellement tirée de leurs colonies la Grande-Bretagne ou la France si l'on tient compte des coûts de mise en valeur et de défense de ces territoires. " Comme si, pris d'une folie des grandeurs impériales, Paris et Londres démesurément vastes", note Florian Louis. La domination américaine sur le monde aprés la Seconde Guerre prendra ainsi d'autres formes. Mais nombre de gnomes pays, en termes de superficie, peuvent avoir par leur richesse, comme le Qatar ou les Emirats, par leur longue expérience de médiation comme la Suisse, leur autorité morale comme le Vatican ou leur capacité militaire comme Israël, un poids significatif sur la scène internationale. Les flux immatériels accentuent encore un peu plus la déterritorialisation de la puissance, mais celle-ci conserve cependant son ancrage. C'est vrai pour les GAFAM, prospérant sur les immenses capacités de cherche et d'innovation américaine qui attirent des chercheurs du monde entier. L'internet est toujours plus étroitement contrôlé sur leurs territoires par les régimes autoritaires qui disposent ainsi de nouveaux moyens de puissance, de surveillance et de manipulation. La mondialisation et l'immatériel rendent la géopolitique plus complexe; ils ne l'abolissent pas, comme est venue nous le rappeler l'agression russe en Ukraine qui se déroule autant dans le cyberespace, l'espace extra-atmosphérique que dans les tranchées du Donbass.
LES ETATS-NATIONS ET LA SOUVERAINETE ETATIQUE
La nation, c'est un peuple libre et souverain et une société fondée sur le contrat social cher à " Jean-Jacques Rousseau. La République incarne l'accomplissement d'un Etat-nation déjà en gestation dans les royaumes tels celui de France ou l'Angleterre. Deux siècles plus tôt, le vieux Continent était morcelé entre duchés, principautés, cités États, mais aussi empires : en tout, quelque 200 entités étatiques à l'orée du XVI siècle. En 1815, lors du congrès de Vienne, qui aprés l'aventure napoléonienne posait les bases d'un concert européen, il n'y en avait déjà guère plus d'une vingtaine autour de la table. L'Etat national s'est avéré plus apte que les autres à mobiliser la force militaire, faire la guerre et la gagner tout en satisfaisant les intérêts de sa base de pouvoir, les classes moyennes et marchandes. Le terme même d'Etat est tardif. Il ne commence à être défini clairement qu'au XVI siècle sous la plume de juristes et philosophes comme Nicolas Machiavel, Jean Bodin, Thomas Hobbes, dont les écrits fondent l'idée du pouvoir politique souverain hors de toute considération ( morale ou religieuse.) L'Etat-nation s'est étendu à tout le Vieux Continent au XIX siècle avec l'unification allemande menée par la Prusse et italienne par le Piémont. Des peuples unis par une même langue et une même culture se constituaient en un Etat commun. Après 1918, ce modèle politique triompha aussi à l'est du continent sur les décombres des empires centraux, alors que se dessinait une nouvelle carte de l'Europe avec le traité de " Versailles" et ses annexes ( Sèvres, Saint-Germain, Trianon". Ces nouveaux Etats englobaient nombre de minorités ethniques et autant de conflits latents. L'après Seconde Guerre mondiale paracheva le processus d'homogénéisation nationale, surtout dans les pays sous domination soviétique. Une décennie plus tard, les Etats nés de la décolonisation ont repris ce modèle bien que leurs frontières tracées par les ex puissances coloniales soient en très large part arbitraires. Si les Etat-nation reste le sujet central du système international, il recoupe des réalités très différentes, notamment pour la définition de la nation. Héritée de la révolution et des Lumières, la vision française est ouverte. En opposition à l'universalisme des Lumières. Les différences ont longtemps perduré notamment pour l'acquisition de la nationalité, la France privilégiant le droit du sol alors que l'Allemagne, L'Italie et tant d'autres faisaient primer celui du sang. Quand a la souveraineté étatique, parfois elle commence par " l'Etat, c'est moi" : la célèbre formule attribuée à Louis XIV est probablement apocryphe mais n'en résume pas moins la volonté de pouvoir absolu du monarque dépositaire de la souveraineté. Ce modèle de souveraineté reste toujours vivace notamment au sein des monarchies arabes comme l'Arabie Saoudite, les Emirats, le Sultanat d'Oman, le Bahreïn, le Koweït, L'Egypte, le Maroc, la Tunisie, la Libye, l'Iran, Israël, de Hafftar, le Qatar, la Chine, la Russie, la Corée du Nord et dans certains dictatures à travers le monde. La République, elle, se fonde sur la souveraineté du " peuple". Les formes de l'Etats peuvent être très différentes : de nature monarchique, oligarchique, théocratique, dictatoriale, républicain, démocratique, etc. Il peut être unitaire et centralisé, ou fédéral. Un Etat, quel que soit son régime, c'est d'abord un territoire délimité par des frontières, des institutions propres et une population. L'Etat fait la loi, juge, lève l'impôt, maintient l'ordre, décide de la guerre et de la paix. Il est celui qui fixe les règles garantissant la paix civile, laquelle permet de ne plus vivre dans l'état de nature et dans la pusillanimité. ( En vertu du pouvoir que lui a conféré chaque individu singulier, dispose de tant de puissance et de force rassemblées en lui que la terreur qu'elles inspirent lui permet de modeler les volontés de tous les hommes afin de pacifier l'intérieur et de s'entraider face aux ennemis de l'extérieur", écrit Thomas Hobbes ( 1588-1679). En revanche, le monde des relations internationales est resté celui de la guerre de tous contre tous, faute d'une autorité commune unanimement reconnue. Les Etats, quelle qu'en soit leur forme, se sont façonnés par la conquête élargissant leurs territoires et dépeçant leurs rivaux. Depuis que la race humaine est sur la terre, Ils se font la guerre, mais c'est surtout la guerre qui les fait. " Proclamer l'injustice intrinsèque de la force, c'est décréter l'injustice originelle de toutes les normes juridiques inconcevablement en dehors des Etats, notait Raymond Aron, "dans paix et guerre entre les nations". Paradoxalement, les rêves d'un multilatéralisme et d'un ordre international qui ne serait plus celui de la force pure mais du contrat entre les nations comme entre les citoyens ont commencé à prendre forme avec le Lumières. Les tragédies du XX siècle ont incrustés cette réflexion. Ce sont les Etats du Vieux Continent, jadis berceau du monde, qui en préparent le dépassement. La Communauté économique européenne puis l'Union européenne ont inventé une souveraineté partagée. Les Etats membres renoncent volontairement à une partie de ce qui constituait leurs prérogatives exclusives, comme la monnaie avec l'euro ou les frontières avec l'espace Schengen. Durant des siècles, la souveraineté fut l'aiguillon de la modernité et de la liberté des peuples. Elle ne l'est plus. selon certains analystes.
PUISSANCE/ SUPERPUISSANCE ET LA FORCE MILITAIRE
Au sein de l'assemblée générale des Nations-Unies, les Etats membres disposent chacun d'une voix, mais certains sont plus égaux que les autres. Les épreuves de l'échec de la Société des Nations dans l'entre-deux-guerres, l'ONU a créé un Conseil de sécurité qui en est l'organe suprême, composé de cinq membres permanents qui sont les alliés vainqueurs du nazisme, depuis tous dotés de l'arme nucléaire et disposant du droit de veto. Se sont les grandes puissances avec un évident primat des Etats-Unis, suivie par la Chine, puis loin derrière par la France, le Royaume-Uni et une Russie qui revient en force. Mais ce statut au sein de l'ONU ne suffit pas à définir ce qu'est une grande puissance, d'autant qu'il est de plus en plus contesté par les puissances émergentes. Le système international a toujours été oligarchique, ou hégémonique : quelques acteurs, appelés grandes puissances, ont dominé la scène et fixé les règles non écrites de la compétition, relevait "Raymond Aron ( 1905-1983). Ce rôle découlait du volume de leurs ressources comme de leur force militaire. L'exemple le plus achevé d'un tel condominium des puissances fût le " concert européen" tel qu'il fut mis sur pied par le congrès de Vienne en 1815 aprés la débâcle de l'aventure napoléonienne, réunissant les vainqueurs : l'Angleterre, la Prusse, l'Autriche, la Russie, mais aussi la France vaincue. C'est aussi à cette époque que la notion de grande puissance apparaît. ( Un Etats obtient ce statut non seulement parce qu'il dispose de ressources militaires et économiques supérieures à celles des autres mais aussi parce que les autres Etats reconnaissent qu'il possède un statut supérieur dans la société internationale), écrit Fabrice Argounés dans " Théories de la puissance". Etre coopté dans le club des grands conférait certains droits : aucune affaire d'importance ne devait être traitée à l'intérieur du système sans que toutes les puissances fussent consultées. D'où tout au long du XIX siècle, la longue série de conférences internationales et les traités pour se partager l'Afrique ou réguler les agitations balkaniques. Chaque avantage gagné par l'un des grands acteurs impliquait que les autres obtiennent des compensations. La première Guerre mondiale balaya ce système. Le grand rêve de rendre la guerre impossible lors de la conférence de paix de Versailles créa la Société des Nations, fondée sur l'égalité entre ses membres. Une ébauche de démocratie mondiale qui fut un échec. Après le second conflit mondial s'est constitué un monde bipolaire, dotées de l'arme nucléaire. Chacune domine son système d'alliances : L'OTAN pour les Occidentaux, le pacte de Varsovie à l'est avec les démocraties populaires de fait occupées par la Russie. Les tiraillements au sein de chacun des deux blocs sont réels. A l'ouest, la superpuissance américaine est relativisée par l'idée gaullienne de grandeur et par la puissance économique acquise par l'Allemagne et le Japon. A l'est, la prééminence soviétique est contestée par la Yougoslavie de Tito et par la Chine de Mao. Avec la chute du mur de Berlin en 1989, puis l'effondrement de l'URSS deux ans plus tard, surgit le mot d'Hubert Védrine, une "hyperpuissance", avec l'hubris qui en découle et ses inévitables échecs. Meme s'ils ne sont plus la seule superpuissance avec la montée en force de la Chine, les Etats-Unis restent loin la premières, et notamment sur le plan militaire, concentrant à eux seuls quelque 40% des dépenses d'armement dans le monde.
POLARITE: MULTIPOLAIRE/ PIPOLAIRE/UNIPOLAIRE
Le système international est construit sur l'idée Wilsonienne que les Etats sont égaux entre eux. Dans les faits, le système international s'est toujours caractérisé par la situation dominante de quelques Etats sur tous les autres. La théorie des relations internationales, voulant prévoir et éviter les conflits, trouve dans cet état de fait un élément stabilisateur, le système international manquant d'une autorité supérieure pour fonctionner. Il apparait donc souhaitable qu'une telle autorité se dégage. Mais combien tête doit-elle avoir? L'histoire montre que les relations internationales ont été tantôt multipolaires, tantôt bipolaires. Depuis la fin de la guerre froide et l'affirmation de la superpuissance américaine se pose la question d'un monde unipolaire. Quelle combinaison est la meilleure pour garantir la paix? Les tenants de la multipolarité montrent que, dans le cas d'un puissance globale répartie entre plusieurs acteurs, aucun d'entre eux ne peut avoir la certitude du comportement des autres et que cela les dissuade de risquer une guerre dans laquelle ils pourraient se trouver opposés à plusieurs de leurs concurrents. Néanmoins, les détracteurs de la multipolarité insistent sur l'incertitude entrainant une multiplication des opportunités de conflit. " La bipolarité" a ses partisans qui rappellent que la guerre froide, situation bipolaire par excellence, n'a pas abouti à un conflit généralisé du fait de l'équilibre des puissances. Mais encore faut-il que ces deux puissances soient suffisamment équilibrées. De plus, une guerre se déclenchant dans cette situation est pire en termes de destructions que dans une situation de déséquilibre des moyens. Les partisans de " l'unipolarité" voient dans l'avènement d'une seule superpuissance l'occasion de faire cesser la compétition, et donc les conflits. La puissance dominante devient régulatrice. On comprend dés lors le discours sur le rôle de " gendarme du monde" des Etats-Unis aprés la guerre froide. La " théorie de la polarité" permet de lire les relations internationales dans la cadre d'une théorie des jeux plus ou moins complexe. Cependant elle présente des failles. "Aucun des modèles ne garantit la paix." La multipolarité est instable, l'équilibre entre les différents pôles se modifiant sans cesse. La bipolarité est moins à l'origine de la paix depuis 1945 que des arsenaux nucléaires. La disproportion des moyens dans une situation d'unipolarité ne met pas de frein à l'usage de la force par la superpuissance, même si le discours officiel le cache sous l'expression ( opération de police internationale).
EQUILIBRE STRATEGIQUE / LE DOCTE ET L'ATONE
( situation dans laquelle aucun Etat ne dispose d'un avantage décisif certain sur ses rivaux.)
Un équilibre peut exciter par l'existence de moyens équivalents dans deux camps opposés, mais être aussi en théorie induit par le territoire, lorsqu'aucun des deux adversaire ne peut espérer vaincre sur le terrain de l'autre. En matière stratégique, le concept d'équilibre a connu son heure de gloire du temps de la guerre froide, sous la présidence de ( Dwight D. Eisenhower.) Il posait comme principe que les Etats-Unis devaient à tout prix maintenir une parité des moyens, notamment nucléaires, avec les Soviétiques. C'est un concept central de la notion de la dissuasion. Le maintien de cet équilibre est difficile dans la mesure où il n'est pas seulement quantitatif, mais aussi influencé par les évolutions techniques. Par ailleurs, il est abscons de déterminer les conditions d'un équilibre globale, car les moyens et ressources des deux camps sont rarement équivalents, les conceptions stratégiques différentes et les conditions de l'affrontement variables. Il est embroussailler aussi par l'ignorance des moyens exacts de l'adversaire. Cela a valu à la course aux armements la qualification de " stratégie névrotique" dans la théorie des relations internationales. D'autres parlent d'impuissance de la puissance, chacun devant assumer des dépenses militaires considérables sans perspective de se servir des arsenaux. La supériorité militaire sans équivalent des Etats-Unis depuis la fin de la guerre froide a conduit à une remise en cause de la stratégie de l'équilibre : ils cherchent au contraire à accentuer le déséquilibre en leur faveur afin de prévenir l'émergence d'une puissance concurrente ( la Chine ). La notion d'équilibre est mise à mal par la stratégie de la guerre asymétrique et le terrorisme.
L'ARCHETYPE DE L'HEGEMONIE
le concept de l'hégémonie s'apparente à la servitude volontaire. C'est la manifestation la plus extrême de la puissance puisqu'elle n'a pas besoin d'exercer sa force. Dans un empire, la métropole opère un contrôle direct sur la partie subordonnée qui est absorbée ou vassalisée. L'hégémonie se fonde, elle, sur des représentations et des valeurs communes. ( Le soft power) y est aussi important que le ( hard power). Le concept d'hégémonie a a été mis en avant notamment aprés 1945 pour caractériser la politique des Etats-Unis qui, tout au long de la guerre froide, dirigeaient la coalition des démocraties face au totalitarisme soviétique. L'administration de Joe Biden l'a remise au goût du jour, réunissant par deux fois dans la capitale américaine un sommet des démocraties face à la guerre russe en Ukraine et à la menace chinoise sur Taiwan. L'hégémonie américaine se veut une domination souhaitée, idéalisée et mythifiée, et un empire par invitation. Première puissance mondiale aussi bien militaire qu'économique, puissance "amphibie", contrôlant les mers mais aussi le ciel et la terre, Washington se voit comme la nouvelle Athènes. Mais les tentatives hégémoniques du passé ont souvent échoué. Charles Quint n'a pas réussi à emporter l'adhésion des monarchies européennes contre les Turcs. Les guerres de Louis XIV, visant à s'assurer sa domination sur le continent, ont fini par un total isolement de la France. Le rêve napoléonien d'une Europe conquise et réinventée sur le modèle Français a fini en une lamentable déroute. Dans un monde globalisé où se sont multipliés les acteurs, la domination fondée sur l'adhésion volontaire est à la peine. Au fil du temps, ont a compris que la mondialisation n'est pas compatible avec l'hégémonie, c'est-à-dire la capacité d'un seul à être le conducteur, c'est ce que veut dire hégémonie, et à se placer aussi en situation d'être désiré, suivi, et à organiser l'ordre mondial, pointe le professeur de sciences politiques " Bertrand Badie". Les alliances anciennes laissent place à des alliances de circonstances et à une diplomatie transactionnelle, c'est-à-dire qui se positionne au coup par coup selon les sujets dans un monde apolaire sans véritable centre. Le retour de la guerre conventionnelle sur fond de rivalité croissante entre puissances pourrait cependant changer à nouveau la donne. Ainsi, L'OTAN, seule alliance militaire et politique structurée et pérenne aujourd'hui dans le monde, a retrouvé toute sa raison d'être, et elle est plus que jamais dominée par l'hégémon américain?
LE HARD POWER ET LA FORCE MILITAIRE
Dans le chaos du monde, les rapports entre Etats se déroulent à l'ombre de la guerre et les conflits. Les acteurs du système international, malgré la tentative de régulation ébauchée après 1945 par les Nation unies, sont souvent en rivalité, voire en conflit, qu'en harmonie. Le retour de la guerre en Europe avec l'agression russe de l'Ukraine, premier conflit interétatique de haute intensité sur ce continent depuis 1945, est venu nous le rappeler. La guerre n'est plus ce qu'elle était. Les deux conflits mondiaux et la possession de l'arme atomique en ont radicalement changé la face. La menace de l'embrasement généralisé a conduit à une dispersion des armes et des formes d'affrontement. En effet, si de nos jours l'affrontement entre puissances passe encore par le recours à la violence, il est également le fait de pression, d'influences, de déduction. En outre, l'usage de la force n'est plus l'unique apanage des Etats; au-delà du cadre national, il tend à se mondialiser sous d'autres formes.
HARD ET SOFT POWER ET LA FACE FUNESTE DU HARD POWER
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