samedi 29 octobre 2022

 GÉOPOLITIQUE/ LUTTES D’INFLUENCE EN MER ROUGE : L'INGERENCE DES PETROMONARCHIES 

En 2020, les pays qui bordent la mer Rouge et le golfe d’Éden ont créé un Conseil des États côtiers arabes et africains de la mer Rouge et du golfe d’Éden. Ses membres, l’Arabie-Saoudite, Égypte, Érythrée, Djibouti, Jordanie, Somalie, Soudan et le Yémen, disent chercher à mieux coopérer sur le plan politiques, économiques et environnementaux. L’opérationnalisation de ce bloc afro-arabe risque néanmoins de ne jamais se concrétiser. Sa charte n’a pas encore été définitivement entérinée et les délais de son fonctionnement restent flous.

De nombreux obstacles limitent sa capacité. La question du leadership de l’organisation est une des plus problématiques puisque le Caire et Riyad revendiquent tous deux ce rôle. Les pays membres de ce nouveau conseil, notamment l’Égypte craignent que l’Arabie-Saoudite s’en serve comme d’un nouvel outil au service de sa politique étrangère, tournée contre Téhéran. En 2015, les pays de cette nouvelle organisation rejoignaient l’Alliance militaire islamique pour combattre le terrorisme ( AMICT), déjà perçue comme un outil saoudien pour contenir l’influence de l’Iran. Depuis quelques années, l’Arabie-Saoudite coordonne également des exercices navales conjoints en mer Rouge. Plusieurs pays de la région regardent ainsi avec appréhension le poids toujours plus important du Royaume. La mer Rouge, et par extension le golfe d’Aden, est une région stratégique convoitée par des puissances aux ambitions croissantes et parfois adverses. L’instabilité politique et les difficultés économiques des pays qui la jouxtent, notamment de la Corne de l’Afrique, la rendent d’autant plus perméable aux rivalités extérieures. Convoitées par les empires Français, britanniques et italiens après l’ouverture du canal de Suez en 1869, la région de la mer Rouge et du golfe d’Aden a ensuite été le théâtre d’une lutte d’influence entre les États-Unis et l’URSS pendant la guerre froide. Aujourd’hui, la Chine, la Russie et les États-Unis y placent leurs pions. Cette région est également prisée de puissances régionales parfois rivales, notamment du Golfe, qui voient le mer Rouge et donc la Corne de l’Afrique comme des espaces dans lesquels se projeter. Déjà en proie à de nombreux défis et conflits locaux, ces régions sont ainsi saturées d’acteurs extérieurs aux intérêts souvent antagonistes. La Corne de l’Afrique est attrayante du fait de la situation stratégique de son pourtour côtier et de l’appétit suscité par la croissance économique éthiopienne. L’Éthiopie est un pays enclavé dont les importations dépendent quasi intégralement des infrastructures portuaires djiboutiennes. Depuis quelques années, Addis-Abeba cherche donc à diversifier ses points d’accès maritimes. C’est ainsi qu’en 2018, l’Éthiopie a indiqué son intention d’acquérir 19% des parts du port de Berbea au Nord du Somaliland, s’associant à la société d’État Dubaï ports world ( DP World). L’entreprise émiratis avait obtenu deux ans plus tôt la rénovation et la gestion du port pour 30 ans et 445 millions de dollars d’investissement. Dés 2000, DP World s’est implantée dans la région à Djibouti d’où elle a été expulsée en 2018 du fait de tensions diplomatiques entre les Émirats arabes unis et Djibouti. China Merchants, un holding basée à Hong-Kong, aurait pris le relais de DP World sur le terminal portuaire de Doraleh ( Doraleh container terminal), renforçant ainsi sa mainmise sur les infrastructures djiboutiennes. L’entreprise d’État chinoise possède déjà 24% de parts dans la société Port de Djibouti SA qui supervise les activités portuaires de Djibouti. Elle a aussi contribué à financier l’immense port polyvalent de Doraleh. En 2018, l’ancien président somalien Mohammed Abdullah, avait promis au Premier ministre éthiopien l’accès à quatre ports en Somalie, sans toutefois préciser lesquels. L’un d’entre eux aurait pu être celui de Hobyo dans la région centrale du Galmudug. Le Qatar, proche du Président Farmaajo, a annoncé en 2019 la rénovation du port. Les projets qataris sur la côte est-africaine semblent néanmoins au point mort. En 2018, Doha avait également obtenu la rénovation du port de Suakin au Soudan pour prés de 4 milliards de dollars. En 2019, la chute d’Omar el-Bachir dont le Qatar était proche et l’arrivée des militaires soutenus par Abu Dhabi et Riyad ont mis un terme au projet. Forts de leur soutien à la junte au pouvoir à Khartoum, les EAU devraient bientôt investir 6 milliards de dollars dans le pays, dont 4 milliards financeront la construction d’un port au Nord de Port-Soudan. Trois cents millions doivent également être versés à la banque centrale soudanaise afin de prêter main-forte aux militaires, mis sous pression depuis la suspension de l’aide occidentale à la suite du coup d’État de 2021.

MILITARISATION ET LUTTES D’INFLUENCE
L’attrait pour cette région n’est pas uniquement économique, mais aussi militaire. De nombreuses puissances étrangères y sont présents, comme l’Inde, la Chine et la Turquie. Très active à Djibouti dans le cadre des nouvelles routes de la soie, Beijing y a inauguré une base militaire en 2017. Cette dernière est actuellement source de tensions avec les États-Unis, également présents sur la base Camp Lemonnier depuis 2002. C’est aussi dans ce pays que l’UE a déployé en 2008 l’opération ( Atalante) pour lutter contre la piraterie dans les eaux du golfe d’Aden. Les Saoudiens et les Émiratis ont cherchée aussi à s’établir militairement dans cette région dés 2015 afin de faciliter leur déploiement au Yémen. Initialement, les deux monarchies devaient s’installer à Djibouti, mais c’est finalement à Assab, dans le Sud de l’Érythrée, qu’une base a été érigée. Riyad n’a officiellement pas abandonné l’idée de s’établir militairement à Djibouti, bien que ce projet soit en suspens. Les critiques auxquelles le quasi-abandon de leurs ambitions militaires sur les côtes de la Corne. La base d’Assab n’est plus utilisée et celle des EAU à Berbera n’est plus d’actualité. En revanche, Abu Dhabi possède toujours des avant-postes militaires au Yémen, notamment sur l’île de Socotra. La Turquie, longtemps rivale des EAU et de l’Arabie-Saoudite, est aussi présente dans la région.  En 2017, Ankara a inauguré une base militaire à Mogadiscio où des entreprises turques géraient déjà le port et l’aéroport. Notons aussi que les Saoudiens et les Émiratis se sont inquiétés en 2018 du projet turc d’établir une base civile et militaire à Suakin au Soudan. La chute d’Omar el-Bachir semble avoir mis fin à cette opportunité, à l’inverse du projet de base russe à Port-Soudan dont l’éventualité a été réitérée par le numéro deux du pouvoir militaire, Mohammed Hamdan Dagalo. Moscou, comme Abu Dhabi, se montre proche de la junte. C’est dans ce contexte que les États-Unis se rapprochent du Somaliland où circulent des informations sur la possibilité prochaine d’une présence militaire américaine à Barbera. Bien qu’elles soient aujourd’hui moins marquées, la rivalité saoudo-iranienne et les tensions entre Qatar et ses voisins ont été exportées dans cette région ces dernières années. L’influence iranienne est maintenant très limitée. En 2016, le Soudan, la Somalie et Djibouti ont fermé les portes de leurs ambassades à Téhéran suite à la rupture des liens diplomatiques entre l’Iran et l’Arabie-Saoudite. Dans un contexte où Riyad essaie de s’imposer sur la scène régionale, particulièrement depuis le début de la guerre au Yémen, son poids politique et économique lui a permis de pousser ces pays à s’aligner sur ses positions. En 2017, les pays de l’autoproclamé quartette antiterroriste formés par l’Arabie-Saoudite, Bahreïn, EAU et l’Égypte ont enclenché des soutiens sur le continent africain pour isoler le Qatar, selon trop proche des milices Iraniennes. L’Érythrée s’est de facto alignée sur Riyad et Abou Dhabi, à l’instar de Djibouti qui est le seul État de la région a avoir réduit ses liens diplomatiques avec Doha. Cette décision a d’ailleurs provoqué le retrait des troupes qataries de maintien de la paix en poste depuis 2010 sur une zone côtière revendiquée par l’Érythrée et Djibouti et dont les relations se sont par conséquent très tendues. A travers ce schéma conflictuelle, la Somalie et le Soudan se sont dits neutres du fait de leur liens avec les deux camps. A Mogadiscio, le président Farmaajo a été élu en 2017 avec la bénédiction financière de Doha et s’est donc toujours montré proche du Qatar. Cette neutralité, mal observée par Abu Dhabi, s’est muée en une crise diplomatique ouverte, incitant les EAU à se rapprocher d’autant plus du Somaliland et des pays fédérés somaliens. Sachant finalement que l’élection du Président somalien qui se rapproche d’Abu Dhabi, en témoigne la remise aux EAU de 10 millions de dollars saisis en 2018 à l’aéroport de Mogadiscio au plus fort de la crise entre les deux pays. C’ est aussi à Abu Dhabi que le nouveau président a choisi de se rendre pour sa première visite d’État en 2022, signalant un rééquilibrage de ses relations avec les deux monarchies du Golfe. Ces rivalités extrarégionales s’ajoutent aux nombreux conflits dont souffrent la mer Rouge et la Corne d’Afrique.


La présence et les initiatives monarchiques et turques ont aussi été critiquées pour leur caractère supposément court-termiste et déstabilisant. En Somalie, la rivalité entre le Qatar et les EAU et les Saoudiens a exacerbé les tensions entre le gouvernement fédéral et les administrations régionales, profitant au groupe djihadiste Al-Shabaab qui se nourrit des divisions internes. Sachant que les rivalités locales nourries par les monarchies du Golfe, constituent à court terme l’émergence d’un conflit sans fin au sein de la région.

MOHAMMED CHÉRIF BOUHOUYA




1 commentaire:

  1. Les conflits de la région nous rappellent que les relations internationales sont une somme de contingences. Les alliances qui se nouent montrent qu'il ne faut pas oublier l'agentivité des acteurs dits périphériques. Ces derniers ont un agenda et, même s'ils ne sont pas au centre de ces jeux de puissance, ils ont également leur carte à jouer. L'environnement de la Corne d'Afrique est infiniment plus complexe car tous ces acteurs n'ont pas des intérêts qui s'alignent sur les intérêts plus larges des institutions internationales comme les Nations-Unies et ses agences affiliées. D'ailleurs, il n'existe même pas de définition officielle ou consensuelle de la Corne d'Afrique. Dans une région qui vit la pire crise alimentaire du XXI siècle avec prés de 15 millions de personnes en insécurité alimentaire, les monarques du Golfe sèment d'avantage les graines des conflits comme ils l'ont déjà fait au Yémen, en Libye et au Sahel.

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