GÉOPOLITIQUE DES ENERGIES / CEOCONFLUENCES
ET UN MONDE EN MUTATION
Le maintien des prix comme de la production des hydrocarbures, ainsi que la prolongation de l’immunité pour les oligarques russes sur certains marchés financiers du Golfe forment dorénavant les objectifs cardinaux recherchés par Poutine pour limiter les conséquences économiques de son action internationale. Dubaï est de surcroît devenu un refuge pour les grandes fortunes russes, qui y transfèrent la plupart de leurs avoirs.
Depuis la création d’un dialogue stratégique entre les monarques du CCG d’une part, et la Russie d’autre part, les relations multiformes ont évolué de façon positive. A travers cette architecture géopolitique, peut-on avancer la thèse que le monde s’oriente vers l’Est et le déclin à l’Ouest ?Après une période de friction, causée par le désaccord du CCG envers le soutien russe à Bachar al-Assad, un rapprochement s’est enclenché à partir de 2017 à la faveur de la présence croissante des Russes au Moyen-Orient, de la détérioration des relations avec Washington et de l’évolution des marchés de l’énergie. Même la décision de Moscou, en 2020, de quitter l’accord OPEP puis de lancer une guerre des prix avec Riyad n’a pas menacé dans la durée les acquis de la diplomatie russe dans la région. Un an plus tard, ces deux pays signaient un nouveau texte de coopération militaire dont les termes commerciaux demeurent confidentiels. Parallèlement à cette période de réchauffement des relations entre les membres du CCG et la Russie, cette dernière a tenté d’exploiter les divisions et polarisation qu’a engendrées son intervention militaire à l’appel d’al-Assad, ce qui a aboutit à un génocide et un crime contre l’humanité. Moscou espérait que l’appui de certains monarques du Golfe, Émiratis, Oman, Koweït, Bahreïn à la Syrie inciterait l’Arabie-Saoudite et le Qatar, à suspendre leur soutien aux mouvements d’opposition dans ce pays. Le Kremlin s’est aussi présenté auprès des monarchies du Golfe comme un rempart de long terme contre les influences des Mollahs iraniens et turque en Syrie. Ces efforts de Moscou ont porté leurs fruits. Les Émirats arabes unis et Bahreïn ont rouvert leurs ambassades à Damas dés 2018, et le Koweït s’est engagé à faire de même si la Syrie était réadmise au sein de « la Ligue arabe ». En raison des pressions occidentales et d’une baisse générale des affrontements, l’Arabie-Saoudite et le Qatar ont réduit de manière drastique leur soutien militaire et financier aux mouvements d’oppositions syriens. En somme, l’expansion des consultations entre le Kremlin et les monarchies du CCG sur la Syrie sert les intérêts de Poutine sur plusieurs volets. Pour Poutine, il s’agit de faire l’enlisement du processus d’Astana et la réticence du régime autoritaire d' al-Assad à s’engager dans des nouvelles réformes. Le développement du dialogue entre la Russie et les Émiratis sur la Syrie ainsi que l’instauration, en 2021, d’une plate-forme de discussions entre la Russie, le Qatar et la Turquie sont de nature à renforcer la position du Kremlin en tant qu’arbitre au sein du monde arabe. La Russie espère que cet engagement des pays du Golfe se traduira par des investissements pour reconstruire et l’acceptation du principe du retour de la Syrie au sein de la communauté internationale, écartant totalement la position internationale sur le « génocide »commis contre le peuple Syrien perpétré par Poutine et Al-Assad. Concernant les monarques du CCG, ce rapprochement s’est également opéré dans le cadre du partenariat toujours plus étroit unissant Moscou et l’Iran, ( pays en concurrence avec l’Arabie-Saoudite pour le leadership à la fois du monde islamique et des exportations de pétrole). A travers cette rhétorique , en améliorant leurs relations avec les Russes, Riyad et ses alliés visaient surtout à ce que ces derniers limitent l’influence des Mollahs en Syrie, tempèrent leur soutien relatif aux groupes rebelles houthis au Yémen et s’éloignent de la théocratie chiite; les monarques du CCG, traversent une période très difficile sur le plan géopolitique et espèrent conservés leurs règnes de monarques même à s’impliquer avec le diable. La conjoncture internationale a finalement dispensé la Russie de devoir rééquilibrer son jeu macabre diplomatique. La réorientation de la politique étrangère américaine vers la Chine, la volonté des Saoudiens d’en finir avec l’enlisement au Yémen, ainsi que l’impasse des négociations sur le nucléaire iranien tendent à apaiser les antagonismes entre Iraniens et Saoudiens. Néanmoins, si cette situation demeure hypothétique et parsemée d’embûches , cette détente irano-saoudiennes permettrait , d’une part, à l’Iran de réduire les risques pour sa sécurité ainsi que son isolement à l’échelle de la région et, d’autre part, à l’Arabie-Saoudite de mettre un terme à l’onéreux conflit au Yémen en plus de diversifier ses interlocuteurs régionaux. Ces deux rivaux ont entamés secrètement à cet effet des pourparlers en 2021, sans aucune issue en perspective. Dans le contexte actuel de la guerre en Ukraine, les implications géopolitiques d’un éventuel apaisement des tensions entre l’Iran et Riyad seraient de nature à conforter Poutine dans sa stratégie de mitigation des effets économiques de la guerre; les deux pays partagent un ressentiment occidental et pouvant maintenir un prix élevé du baril de pétrole en n’augmentant pas leur capacité de production. Cette mutation régionale permettrait à Moscou (de soutenir son économie en lui assurant, la conclusion des négociations en cours sur des contrats d’armements ou de centrales nucléaires.) En se sens, Israël, autre important partenaire de Poutine, peut se positionner comme un obstacle à cette accalmie dans les relations irano-saoudiennes, laquelle réduirait la probabilité que Riyad participe aux ( accords d’Abraham ) signés en septembre 2020. Or le rapprochement entre l’État hébreu, Bahreïn et les Émiratis repose sur le perception de l’Iran comme une menace régionale de taille. De l’autre coté de la Méditerranée, le Maroc considéré comme un membre indirect du CCG bénéficie du soutien d’Israël en matière d’armement de haute technologie, ce qui a pousser Alger a tenir un sommet urgent de la Ligue arabe afin d’apaiser les tensions régionales et afficher à la fois son rôle sur la scène internationale. Dans l’ensemble, la volonté d’apaisement affichée par les partenaires moyen-orientaux de la Russie envoie des signaux contrastés, vue la poudrière Ukrainienne et la position de l’OTAN.
LE CCG, LE BRICS ET L’OTAN : UN POSITIONNEMENT STRATÉGIQUE ET DANGEREUX
LES MEMBRES DU CCG ENTRE DÉFIS ET INFLUENCE
Les monarques du Golfe sont susceptible, à cet effet, de subir des lourdes pressions afin de se joindre à la condamnation internationale de l’agression russe. A mi- terme, les exportations de pétrole et de gaz du Golfe devraient bénéficier d’une hausse de recettes d’exportation. Les Saoudiens et les Émiratis, devraient profiter de la crise, surtout si les exportations russes d’hydrocarbures étaient contraintes par de sanctions financières, voire par l’éviction intégrale du mécanisme SWIFT, utilisé par les banques pour accepter le paiement lors d’échanges internationaux. L’inflation, notamment celle des denrées alimentaires, constituera un lourd fardeau économique pour toute la région moyen-orientale et nord-africaine, que les monarchies du Golfe devront financièrement aider. Durant les décennies à venir, les pays du Golfe seront impactés par la dégradation économique mondiale, chaque fonds souverain de ces acteurs ayant investi en Russie. Ainsi, l’Arabie-Saoudite a investi dix milliards de dollars dans la création d’un fonds d’investissement russo-saoudien, la Mubadala Investment Company « Abou Dhabi »est exposée à hauteur de trois milliards de dollars en Russie ; le Qatar détient 19% de la pétrolière russe Rosneft. En dehors du secteur financier, les tensions sur la valeur du rouble, et celles décidées contre les banques russes, pourraient avoir un impact sur les entreprises russes, la construction, le tourisme et le secteur immobilier. Sachant que les investissements du Qatar en Russie se chiffraient à environ 13 milliards de dollars. Toutefois, le conflit pourrait, à l’inverse, encourager les transferts financiers et les efforts de dissimulation d’actifs dans les pays à faible taux d’imposition comme les Émirats arabe-Unis ou Bahreïn, contournant ainsi les sanctions occidentales. Parler d’un CCG affranchi des réseaux politiques et sécuritaires américaines dans la région, il est probable que le conflit Ukrainien accélère le processus de dislocation entre les plaques géopolitiques américaines et des monarchies du Golfe. Les attaques de l’Iran contre les cibles maritimes et énergétiques a Abou Dhabi et Riyad et l’assourdissement des américains sous Donald Trump, ont renforcés le désir des monarques du Golfe d’élargir leur éventail de partenariats politique et stratégiques avec le BRICS. Autre facteur sidérant pour les pétromonarchies est la rentrée de l’Iran dans le giron eurasiatique en 2021, devenant ainsi le neuvième membre de l’Organisation de coopération de Shanghai.
L’UE UN REMPART CONTRE L’INFLUENCE RUSSE AU MOYEN-ORIENT ?
L’UE intensifie son engagement au Moyen-Orient, pour ses intérêts énergétiques. Le contexte est rendu plus complexe pour les Européens à la lumière du retrait des États-Unis du monarchies du Golfe. Il existe désormais un vide qui pourrait être comblé par d’autres puissances, telle la Chine. Dans ce contexte, une priorité majeure pour les Européens est d’empêcher la Russie d’utiliser son influence dans la région contre leurs intérêts. Ils sont par exemple conscients de la présence russe en Libye et de la façon dont Moscou pourrait l’utiliser pour déclencher une crise migratoire, avec l’intention de déstabiliser l’Europe en jouant sur sa politique intérieure. Dans ce contexte de multipolarité compétitive, il y a aussi plus de place pour les acteurs locaux. Les monarchies du Golfe se sont taillé un rôle d’acteurs clés dans l’architecture de sécurité régionale. L’UE reconnaît la valeur stratégique des membres du CCG pour la stabilité et la connectivité de la région, ce qui a conduit à l’adoption, le 18 mai 2022, de la communication conjointe de l’Union sur un partenariat stratégique avec le Golfe, qui vise à intensifier la coopération dans les domaines du commerce et de l’investissement, du changement climatique, de la santé, de la sécurité énergétique et de la transition verte. La stratégie de l’UE dans le Golfe est liée à la sécurité de réduire sa dépendance vis-à-vis du pétrole et du gaz russe. A cette fin, des pays comme l’Allemagne et l’Italie passent des accords avec le Qatar pour sécuriser leur approvisionnement en GNL et avec les Émiratis pour sécuriser les livraisons de pétrole. Parallèlement, l’UE veut importer 10 millions de tonnes d’hydrogéne vert d’ici à 2030 et créera des corridors d’importation pour ce faire y compris en Méditerranée orientale. Concernant la France, les liens de défense avec les Émiratis ont façonné sa diplomatie de soft power : le siège de la Mission européenne de sensibilisation maritime dans le détroit d’Ormuz ( EMASOH), lancée en 2020 à l’initiative de Paris et qui a pour but d’assurer la liberté de navigation et la désescalade dans le golfe Persique, est ainsi situé dans la base française à Abou Dhabi. Emmanuel Macron a compris le lien entre le Moyen-Orient et les répercutions du conflit Ukrainien, et a tenté de parlementer directement avec le monarque ben-Salmen, essayant d’influencer les politiques pétrolières de Riyad et ainsi faire pression pour la stabilité et la baisse des prix. Reconnaissant l’incapacité des États-Unis à persuader seuls l’Arabie-Saoudite de coopérer sur les politiques pétrolières, le Président francais utilise ses propres canaux, tout en associant d’autres gouvernements européens et l’UE à cet effort. Ça stratégie réside donc a manœuvrer pour le Golfe comme plate-forme et point d’entrée et diriger au même temps l’organisation d’un sommet ( UE-CCG) sur l’énergie. Un autre défi pour la France serait l’échec probable des négociations afin de relancer l’accord nucléaire avec l’Iran. Dans le même temps, l’Algérie a une occasion en or d’augmenter ses exportations de gaz vers l’Europe. Le premier ministre Italien s’y rendu en avril 2022 et a signé un accord étendant les livraisons de gaz algérien à l’Italie à travers le gazoduc sous-marin Transmed jusqu’à 9 milliards de mètres cubes par an d’ici à 2024. Ses livraisons de gaz vers l’UE auraient également pu augmenter grâce à l’Espagne, mais celle-ci manque d’infrastructures pour réexporter ce gaz vers ses voisins, tandis que les tensions diplomatiques entre Alger et Madrid se sont aggravées après la décision espagnole, en mars 2022, de soutenir le Maroc au sujet du Sahara occidental. Autre vision stratégique de la France sur l’énergie, et le gaz Iranien qui reste soumis à de lourdes sanctions et que son seul gros client est la Chine. En ce sens, les entreprises européennes qui ont été contraintes de cesser leurs investissements sur le marché russe de l’énergie pourraient les réorienter vers l’Iran. Toutefois, il faudra des tractations diplomatiques avec les monarques du CCG et trouver un accord sur le programme nucléaire Iranien, un conflit gelé aux conséquences incontournables ?
LES ENJEUX GAZIERS EN MEDITERRANEE ORIENTALE
La découverte de gisements de gaz en Méditerranée orientale pourrait être une source d’apaisement et de coopération. Dans ce domaine en effet, la stabilité est la clé pour attirer les investisseurs, et la coopération est nécessaire pour partager les coûts et optimiser les investissements importants. L’UE est un important consommateur et souhaite remplacer son approvisionnement russe; et la concentration des champs autorise des synergies et des effets de levier en terme d’exploitation et d’exportation. Ce gisement est-méditerranéen est évalué à 3500 milliards de mètres cubes, l’équivalent des réserves norvégiennes, et pourrait profiter à Israël, à l’Autorité Palestinienne, à l’Égypte, au Liban, à Chypre et à la Turquie. De nombreux accords ont déjà vu le jour : entre l’Égypte et Israël pour l’exploitation du gaz vers son voisin du sud ; entre Chypre, la Grèce, l’Italie et Israël pour la construction du gazoduc «EastMed » ; et surtout, la création d’un Forum du gaz de la Méditerranée orientale, constitué par l’Égypte, Chypre, Israël, la Jordanie, la Grèce, la France et l’Italie. La plupart des zones économiques exclusives ont fait l’objet d’accords, sauf celle entre le Liban et Israël et celles concernant la Turquie. Car la compétition pour le gaz est également l’illustration des jeux des puissances régionales. Concernant le Liban, c’est le jeu du Hezbollah, et donc la stratégie de l’Iran face à Israël, qui est déterminant. Pour la Turquie, c’est son positionnement à l’égard de la Grèce, de l’Égypte et de l’Europe qui est en cause. C’est bien la place géopolitique de ces deux puissances dans la région qui est en jeu, au-delà des simples intérêts économiques. Les scénarios dépendront pour l’Iran de l’accord global avec les États-Unis sur le nucléaire et du maintien de son influence dans la région, comme l’Irak, la Syrie, le Liban, Hamas et le Yémen. On constate donc que la partie orientale de la Méditerranée est un concentré des tensions de cette région hautement sensibles. C’est le gaz, en particulier celui qui gît sous la mer dans la partie orientale du bassin, qui représente l’enjeu le plus important. Il est source de coopération entre la Grèce, Israël, Chypre et l’Égypte, mais aussi de tensions avec la Turquie. Pour la Turquie, elle est mentionné dans les puissances qui impactent la sécurité en Méditerranée. Elle développe une stratégie autonome, privilégiant ses intérêts, y compris au détriment de ceux de ses voisins, éventuellement par la force. En cela, elle est en ligne avec le nouvel environnement mondial qui se met en place. La politique turque est à la fois ambitieuse, agressive et omnidirectionnelle, mais elle est également souple. Erdogan sait s’arrêter à temps lorsqu’il observe une opposition inattendue et opérer des replis tactiques qui lui permettent de surmonter la difficulté tout en conservant son objectif final. Ankara, optimise ses cartes et elle pioche un bel atout, la guerre en Ukraine fait de la mer Noire un site stratégique et renforce la position de la Turquie. Gardienne des détroits et partenaire des deux camps, c’est dans ce cadre qu’elle s’est placée en médiatrice, avec Istanbul comme lieu de rencontres, entre l’Ukraine et la Russie, excluant de facto l’ONU et L’Union-Européenne. Enfin, le grand défi majeur de l’UE et surtout la France sera donc de s’adapter aux grands changements mondiaux et aux dynamiques régionales au Moyen-Orient, zone fortement stratégique pour l’UE. Sans négliger l’effondrement du Liban, l’Irak, et la Libye. En Afrique du Nord, l’UE devra faire face aux enjeux énergétiques et empêcher l’instabilité liée aux potentielles crises de sécurité alimentaire et à la flambée de l’inflation, qui touche principalement l’Égypte, le Maroc, la Libye et la Tunisie provoquant ainsi un second printemps arabe qui embrasera toute la région et se propagera jusqu’aux monarchies arabes.
A mesure que la crise se poursuivra, les questions énergétiques risquent de déterminer le calcul politique des élites régionales. Le maintien d’une relation équidistante entre les États-Unis et le Russie demeure l’option par défaut.
MOHAMMED CHÉRIF BOUHOUYA
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