GEOSTRATEGIE AFRICAINE / L’ARC DES TREMBLEMENTS GÉOPOLITIQUES
Sur le continent africain, la guerre fait rage depuis la décolonisation, amenant avec elle ses sœurs en apocalypse : la famine et l’épidémie. Cet entêtement du désastre sur ce continent suscite d’innombrables explications toutes pertinentes. Toutes également inaptes à apporter un remède. Une des faiblesse de l’Afrique tient au fait qu’aucun pays ne dispose de la puissance nécessaire pour y imposer une paix impériale. Contenus tant bien que mal dans leurs périmètres régionaux, ces poudrières parfois oubliées des médias peuvent exploser dans un temps limité en Afrique du Nord a commencer par la Tunisie.Il existe ainsi de vastes secteurs de notre planète où l’unique certitude est l’impossibilité de la paix. Le premier facteur est l’enjeu des richesses. D’ouest en est, de Brazzaville à l’Afrique équatoriale, la zone intertropicale présente une continuité de zones conflictuelles. Au centre le Zaïre ( République du Congo), frontalier avec 9 pays, n’a connu la stabilité que lors du règne du président Mobutu, soutenu par les puissances occidentales, principalement la France, avec la bénédiction américaine. Ce pouvoir ubuesque fut soutenu, comme tant d’autres dictatures du tiers-monde parce qu’il semblait constituer un point d’appui contre les entreprises soviétiques particulièrement actives en Afrique noire à partir de 1975. Ainsi la sécession du Shaba ( ex-Katanga) fut-elle contrée militairement. Ces motivations disparaissent à la fin du XX siècle. La situation s’est également dégradée très tôt dans la zone des Grands Lacs ( Rwanda-Burundi), où la France s’avère incapable de contrôler le déchaînement de la violence ethnique. Plus tard, au Congo ex-Brazzaville. Plus au nord, les troubles du Centre-Afrique, puis vers l’ouest, ceux de la Cote d’Ivoire jusqu' alors épargnée ont montré l’extrême fragilité de ces États sans fondements, d’autant plus que personne en Europe ne souhaite leur apporter une aide réelle. La guerre qui de 1998 à 2000 a opposé l’Érythrée ( 4 millions d’habitants) à l’Éthiopie ( 46 millions) constitue un des conflits parmi les plus meurtriers que le monde ait connus depuis la guerre irano-irakienne de 1980-1988. L’enjeu strictement frontalier ne présente que peu de chose au regard de la volonté de l’Éthiopie d’obtenir un accès à la mer. Le nationalisme, le souci du prestige soutenu par un code de l’honneur d’ancienne tradition ont contribué à l’exacerbation du conflit entre deux des pays les plus pauvres de la planète. Le déséquilibre des potentiels fait que tôt ou tard, en dépit de tous les efforts de l’ONU et de l’OUA, la guerre a des chances d’entériner le droit du plus fort. La Somalie constitue une nouvelle zone grise, en 1994, les Occidentaux quittent Mogadiscio dans la confusion totale. C’est un revers important pour les Nations unies et l’idéal humanitaire ainsi qu’une page peu glorieuse pour les grandes puissances occidentales qui prétendaient organiser un nouvel ordre mondial. En 2001, la Somalie morcelée en quatre territoires mal circonscrits ( outre la République de Somalie autour de Mogadiscio, autoproclamée à l’été 2000, sont apparus un Somaliland, le minuscule Puntland et un territoire tribal, le Rahanwein, tous soumis à des seigneurs de la guerre), est devenue le refuge de tous les trafics. Elle est donc transformer en un havre pour les organisations criminelles, et aussi le plus gros fabricant de faux dollars. Au Soudan, placé par les Américains sur la liste des États apportant leur soutien au terrorisme, le pays constitue depuis plus de vingt ans une zone de guerre civile où l’état de droit ne s’applique que ponctuellement. Une guérilla sanglante oppose depuis vint ans le gouvernement officiel arabo-musulman à un Sud animiste ou partiellement christianisé. Ce conflit atroce qui, en raison des famines, a coûté la vie à plus de deux millions de personnes au sud du pays est exacerbé par l’enjeu pétrolier.
LA TUNISIE / UN AUTRE PRINTEMPS ARABE A L’HORIZON
Soumis à une inflation et à des pénuries permanentes, les Tunisiens s’interrogent sur leur devenir et peinent à trouver une possible sortie de crise, entre une opposition discréditée et un projet présidentiel aux allures autoritaires. Au printemps 2021, le conflit entre le gouvernement Hichem Mechichi, le président Kais Saied et l’assemblée des représentants du peuple, présidée par l’islamo-conservateur Rached Ghannouchi, paralyse les institutions dans un contexte socio-économique et sanitaire dégradé. Le 25 juillet, des manifestations anti-Mechichi sont organisées et des locaux d’Ennahdha attaqués, le chef de l’État annonce la mise en place des mesures exceptionnelles. Kais Saied démet de ses fonctions Hichem Mechichi, suspend les activités du Parlement et lève l’immunité des députés. Seul au pouvoir, il promet de sauver la révolution de 2011, trahie, selon lui, par des formations partisanes et des élites économiques corrompues. Ce coup de force est accueilli par des moments de liesse dans les rues de Tunis. Le président profite de la mauvaise image du Parlement, théâtre de scènes de chaos depuis les législatives de 2019. Dénonçant un coup d’État constitutionnel, Rached Ghannouchi et quelques députés tentent, en vain, de pénétrer dans l’enceinte de l’Assemblée, bloquée par l’armée. Les mesures autoritaires du président marquent un tournant radicale dans la trajectoire politique tunisienne, dix ans après la fuite de Zine el-Abidine ben Ali ( 1987-2011). Le président doit alors clarifier son projet, mais les annonces, qui se limitent à fustiger les corrompus et entretenir l’imaginaire du peuple, ne se traduisent pas par des changements significatifs pour les populations. Tandis que des premières critiques émergent sur une gestion solitaire du pouvoir, le président coupe l’herbe sous le pied à ses détracteurs et adopte de nouvelles mesures exceptionnelles. Le 22 septembre 2021, il publie le décret 117, qui suspend une partie de la Constitution de 2014. Prolongeant le gel du Parlement, il supprime également l’instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des projets de loi. Gouvernant par décrets-lois, Kais Saied charge Najla Bouden de former un gouvernement qui, malgré des prérogatives réduites, doit négocier un nouveau prêt avec le (FMI «1») en échange de mesures d’austérité dans un contexte socio-économique explosif. Alors que l’Assemblée des représentants du peuple restera dissoute jusqu’aux prochaines législatives, prévus le 17 décembre 2022, le président organise une consultation populaire en ligne du 15 janvier au 20 mars, dont les résultats serviront à préparer des amendements constitutionnels soumis par référendum le 25 juillet 2022. Dans la même foulée, il poursuit son offensive afin de purifier le pays de la saleté et de ceux qui ont altéré ses capacités. Ainsi, il accuse les magistrats d’entraver les enquêtes sur les assassinats politiques et les affaires de corruption, et, le 5 février 2022, il annonce la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature, pourtant chargé de garantir l’indépendance de la justice. Malgré l’échec de la consultation populaire, à laquelle à peine 8% du corps électoral a participé, le président prépare une nouvelle Constitution. Exclus des discussions, les partis et plusieurs acteurs de la société civile dénoncent le démantèlement des acquis de la révolution de 2011. Les députés ont organisé le 30 mars 2022 une séance plénière en ligne, retransmise sur les réseaux sociaux et Al-Jazeera. Malgré tous les blocages, prés de 120 parlementaires votent une loi annulant les décisions prises par le président depuis le 25 juillet 2021. Le soir même, le président dénonce une tentative de coup d’État, dissout l’Assemblée et ordonne à la justice de poursuivre les participants. Et, tourné vers les échéances électorales, il modifie la composition de l’instance supérieure indépendante des élections, dont il nomme les membres. Soumis aux critiques internes et à la pression des partenaires étrangers, notamment européens et américains et déchu de l’aide financière des pétromonarchies notamment les Saoudiens et les Émiratis, et menacé par le Maroc de fermer les agences bancaires implantés en Tunisie à cause de la question du Sahara occidental, il promet un dialogue national afin de préparer le texte constitutionnel fondateur d’une nouvelle République. Attendu pour le 20 juin 2022, il sera le fruit d’un processus de consultation organisé en une vingtaine de jours qui exclut les formations partisanes et la société civile. En outre, le projet se heurte aux refus des acteurs sur lesquels il comptait, dévoilant ainsi un président isolé menant le pays vers un nouveau printemps arabe sanglant touchant ainsi les pays voisins comme le Maroc, l'Algérie, la Mauritanie, le Mali, le Tchad, le Niger, le Nigeria allant même jusqu’aux monarchies arabes. Face à une délégitimisassions d’une vision politique décidée depuis longtemps, les doyens des facultés du droit et l’Union générale tunisienne du travail ( UGTT) ont exprimé leurs refus de participer. De leurs coté, la plupart des formations politiques ont appelé au boycott des prochaines élections.
MOHAMMED CHÉRIF BOUHOUYA
«1» Les activités du FMI et de la Banque mondiale font désormais l’objet d’une critique plus sévère qu’auparavant de la part des pays industrialisés et notamment du Congrès américains, tandis qu’est remis en question tout le financement des institutions d’aide internationale. Autre conséquence négative sur ces institutions financières déjà dans le collimateur : elles sont devenues le symbole avec l’OMC de la mondialisation et de l’ultra-libéralisme auprès des mouvements antimondialisation. Signe des temps, la réunion annuelle du FMI et de la banque mondiale, qui passait naguère presque inaperçue, fut annulée en 2001 pour des raisons de sécurité. Il est vrai dans une ambiance particulière faisant suite aux attentats du 11 septembre, tous ces événements, qui se sont enchaînés avec rapidité, contraignent ces institutions à entamer une restructuration profonde qui passe par l’adoption d’une vision globale, par une meilleure écoute des populations et de la société civile, et par l’bondon définitif d’une approche exclusivement technocratique. Néanmoins, quel que soit l’avenir des institutions financières internationales, il est certain que le climat de confiance aveugle qui a présidé à leurs premières années est révolu.
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