GEOPOLITIQUE/ LES SOFT POWERS ASIATIQUES: L'AUTRE TERRAIN DE RIVALITE DE PEKIN
La réappropriation du soft power par la Chine incita ses voisins à se lancer dans des stratégies comparables, associant les différentes caractéristiques du soft power et des projets politiques, et ouvrant la voie à une compétition articulée autour de l'image et de l'influence. L'exemple du Japon et de la Chine est le plus évident, tant ces deux pays rivalisent depuis des décennie sur fond de diplomatie publique et de promotion culturelle. Le slogan ( Cool Japan), visant à relancer l'attractivité du Japon, s'est accompagné d'une volonté de contrer les investissements chinois et de répondre aux offensives du charme de Pékin en Asie.
La construction du soft power s'organisa en Chine, mais il différait déjà de son acception aux Etats-Unis. Depuis les années 1990, d'autres pays asiatiques manifestèrent un réel intérêt pour le soft power. La Corée du Sud et Taiwan, récemment démocratisés, y virent la possibilité de nourrir un discours identitaire et de mettre en avant un modèle de développement ayant accompli des succès triomphante. Depuis plus de deux décennies, la Chine a mis en place une stratégie du soft power. D'abord de manière informelle, en lançant ses instituts Confucius tout en misant sur son patrimoine culturel. Ensuite de manière officielle, elle a mis en œuvre ces actions gouvernementales pour une meilleure façade au monde. Pékin a rapidement reconstruit et dépassé la réflexion de "Josef Nye 1" sur le soft power, en y intégrant l'économie et la capacité d'investissement. Ainsi, ( la Belt and Road Initiative "BRI") lancé à partir de 2013 par XI jinping s'inscrit dans le cadre de cette affirmation de puissance visant à faire de la Chine une puissance mondiale, tant sur le terrain géopolitique qu'au service de l'affirmation de puissance. C'est aussi un Hard power qui soulève des interrogations sur un hégémon à l'échelle asiatique. A Taiwan, avec l'arrivée au pouvoir de Tsai Ing-wen vise à associer l'attractivité de la société taiwanaise et le renforcement des liens économiques et commerciaux avec l'association des nations d'Asie du Sud-Est ( ASEAN), tout en réduisant la dépendance à la Chine. De son coté, l'Inde s'est lancée dans une stratégie de soft power déclinée dans sa forme culturelle et économique. Au fil des compétitions acharnés, on relève alors un soft power qui s'inscrit dans des stratégies politiques, géopolitiques et géoéconomiques entre puissances asiatiques. Ainsi, afin de mieux comprendre le soft power chinois et sa stratégie d'influence et affirmation de puissance, il est primordial de revoir les classements internationaux du soft power. Dans son indice "soft power 30", la société de conseil en communication Portland ( Londres) qui mesure le soft power des Etats, les pays Européens se partagent systématiquement les premières places avec une combinaison inégalée d'atouts solides dans toutes les catégories du soft power, en particulier la culture, l'éducation, le numérique ou l'engagement mondial. Tandis que la France "1", le Royaume-Unis "2" et l'Allemagne "3" bénéficient d'un niveau de confiance très élevé en matière de politique étrangère tout comme l'UE; en Asie, chaque pays a son propre soft power, y compris les Etats membres de ( l'ASEAN). A ce titre, l'indice soft power 30 classe plusieurs Etats asiatiques, c'est notamment le cas du Japon "8", de la Corée du Sud "19", de Singapour "21" et de la Chine "27". Si l'on élargit la lecture du classement à la définition géographique la plus large de l'Asie-Pacifique, l'indice fait apparaitre des pays comme les Etats-Unis "5", le Canada "7", l'Australie "9" et la Nouvelle Zélande "17". On constate alors, au sein de se classement que, malgré l'énorme engouement du soft power en Asie, les pays de la région accusent un déficit accablant par rapport aux pays Européens. Bien que l'Asie-Pacifique soit en avance sur le plan économique, elle reste à la traine des pays Occidentaux quant il s'agit de capter la stratégie de soft power et ca mise en place. Quant au Global Soft power Index 2021 "13" basé sur la plus vaste enquête de terrain de ce type, menée par Brand Finance (Londres), avec les statistiques recueillies dans 120 Etats, les pays asiatiques font bon figure, notamment pour leur gestion sanitaire de la pandémie de Covid-19, l'un des onze critères de ce classement; gouvernance, influence, relations internationales, médias, éducation, science, affaires, réputation, et autres. C'est particulièrement le cas du Japon "2", de la Corée du Sud "11", de Singapour "20" et du Vietnam "47". A l'inverse, la Chine "8", la Thaïlande "33", la Malaisie "39" ou l'Indonésie "45" sont les grands perdants du classement 2021 puisque tous ont reculé. En Asie, le soft power s'inscrit dans de véritables stratégies politiques, géopolitiques et économiques, et étend ainsi le domaine de la compétition entre puissances asiatiques.
Le soft power n'est pas un processus Linéaire simple, mais un écosystème avec de multiples boucles de rétroaction qui influencent au fil des décennies chacun des outils présents dans une stratégie de soft power. Les puissances asiatiques sont friandes du soft power, perçu comme un outil au service d'une puissance moyenne souhaitant intégré sur la scène régionale et internationale.
MOHAMMED CHERIF BOUHOUYA
(1) le concept de Joseph Nye
I
l est analyste et théoricien des relations internationales. Il est également Président du groupe Nord-Américain au sein de la commission Trilatérale depuis 2009.
A la fin des années 1980, Joseph Nye avança l'idée que les transformations du système international engendrées par la bipolarité de la guerre froide ont accéléré l'émergence d'une nouvelle forme de puissance, qu'il a qualifiée de soft power. Il fut le premier à considérer que les attributs dits traditionnels de la puissance ( capacités militaires, géographie, poids démographique, ressources stratégiques) définis comme composantes de ce qu'il catégorise comme étant ( le Hard Power) ont vu durant la guerre froide leur importance diminuer au profit d'attributs immatériels, tels que les institutions, le niveau d'éducation, la technologie, ou encore la culture. Dans un texte plus récent, Nye a affiné son concept et divisé les sources du soft power en trois catégories fondamentaux: la culture, les valeurs politiques internes et étrangères, auxquelles peuvent s'ajouter certains aspects de la puissance économique et militaire.
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