En dépit
des relations conflictuelles que les Etats-Unis ont pu avoir avec l’Iran,
Washington a toujours tenté de maintenir a minima des liens avec les frères
musulmans considérer comme les plus modéré sur la scène internationale. Depuis
de nombreuses décennies, l’administration Américaines a opté une politique
d’ouverture à l’égard des frères musulmans et également les représentants de
l’islam politique au Maghreb. Depuis l’arrivée au pouvoir des islamistes en
Afrique du Nord à partir de 2011, cette stratégie américaine a davantage pris
corps, les représentants de l’islam modérée devenant les interlocuteurs
privilégiés des Etats-Unis, notamment dans les monarchies du Golfe et au
Maghreb.
Les
relations des Frères musulmans avec les États du Golfe se caractérisent par une
disparité de trajectoires politiques et de choix stratégiques selon
l’environnement sociopolitique interne, alors que le processus d’implantation
répond, quant à lui, à un scénario similaire. Les branches des Frères musulmans
implantées au sein des différents pays du Moyen-Orient constituent
une seule et même entité prenant
tous le même discours, tout en rejetons le radicalisme violent. En effet, le
parti de la Liberté et de la Justice égyptien s’est engagé dans une conquête
électorale des institutions politiques, l’expérience gouvernementale de Mohamed
Morsi s’interrompant à la faveur du coup d’État militaire de juin 2013. Le
mouvement tunisien Ennahda a, quant à lui, fait le choix en 2012 d’une « troïka
» gouvernementale avec des formations de centre gauche pour accepter, fin 2014,
d’entrer dans un gouvernement d’union nationale avec Nidaa Tounès, une
formation qui se réclame de l’héritage destourien. La vague révolutionnaire de 2011 qui
porta au pouvoir les Frères musulmans égyptiens et tunisiens, n’a pas épargné
la région du Golfe où des mobilisations de masse se sont déroulées avec des
degrés d’intensité variables. De toute évidence, le printemps arabe est perçu
par les monarchies du Golfe sous le prisme sécuritaire, comme une menace existentielle
à leur survie dont le danger émanerait à la fois des demandes de
démocratisation formulées par la rue arabe et de la prise du pouvoir politique
par les Frères musulmans, une fois un processus électoral libre relancé. Ainsi,
l’organisation frériste passe de la catégorie de risque potentiel à la
stabilité des monarchies en sa qualité de groupe d’opposition, à celle d’une
menace imminente en tant qu’organisation conquérant le pouvoir et jouissant
d’une exceptionnelle capacité de mobilisation en période révolutionnaire et
post-révolutionnaire. Dans ce contexte, les Saoudiens et leurs alliés au sein
du Conseil de coopération des États arabes du Golfe (CCEAG) vont tenter de «
sécuriser » l’appartenance à la communauté frériste comme enjeu prioritaire et
régional. Cependant, la perception subjective de cette menace sera interprétée
par chacune des six monarchies au regard de ses intérêts nationaux et régionaux
S’appuyant sur les institutions naissantes des États
du Golfe, le mouvement des Frères musulmans parvient à étendre son emprise à
une génération entière de jeunes golfiens, au moment où s’organisent en son
sein des réseaux plus structurés. Bénéficiant dès les années 1950 d’un contexte
politique extrêmement favorable, il s’impose très vite comme un acteur
incontournable au sein de la région et les Frères musulmans exilés, issus de
contextes sociopolitiques parfaitement étrangers aux monarchies du Golfe en
sont très largement à l’origine. Ces derniers ont pu prendre pied dans la
péninsule au travers des institutions des États, en particulier le système
éducatif, qu’ils ont su mettre au service de leur vision du monde. Dès le début
des années 1920, Hassan al-Banna fait preuve d’un intérêt grandissant, en
particulier pour l’Arabie saoudite. Il se rend ainsi régulièrement en
pèlerinage dans les villes saintes et profite de ses voyages pour renforcer les
liens avec certains notables du Hedjaz et des pays voisins, favorables à ses
idées et au réformisme musulman qui se développe à la fin du XIXe siècle et au
début du XXe siècle autour de Jamal al-Din al Afghani et de Mohammed Abdou. À
la même époque, d’autres Frères égyptiens se rendent en Arabie, au Koweït et au
Qatar, mais ils sont alors peu nombreux et partent enseigner pour de courtes
durées avant de regagner leur pays d’origine. Jusqu’à l’édification des États
modernes au cours des années 1950, l’enseignement est assuré, selon la
tradition wahhabite, par des écoles traditionnelles coraniques (katatib) ou par
des hommes de religion (mutawa’) imams ou juges, et se limite à la mémorisation
et récitation du Coran, aux hadiths et aux règles de base de la lecture, du
calcul et de l’écriture. Les élèves désireux de compléter leur apprentissage se
rendent en Irak ou en Égypte où ils sont confrontés aux idéologies du
panislamisme et du nationalisme qui bouleversent le monde arabe. De retour, ces
notables du Golfe, aguerris aux idées des Frères, seront les incubateurs du
courant islamiste. La situation change avec l’arrivée au pouvoir dans les
années 1950 au Moyen-Orient de régimes autoritaires, qui parce qu’ils redoutent
la popularité croissante des Frères musulmans, les soumettent à une répression
impitoyable. Pour ces derniers, émigrer représente alors une question de
survie. Suite à la première grande vague de répression lancée par le régime de
Nasser en 1954, un grand nombre de Frères égyptiens trouvent refuge dans le
Golfe où ils seront rejoints par des Syriens − à leur tour menacés par Nasser
après la création de la République Arabe Unie (1958) − et par des Irakiens,
fuyant le début des persécutions que marque le coup d’État du général Abd
al-Karim Qassim (1958). L’arrivée en masse de Frères réfugiés coïncide avec les
vastes politiques et programmes de modernisation des institutions, notamment
dans le domaine de l’éducation,
LES MONARCHIES, UNE MENACE POUR L’ISLAM DES
SALEFS
La
perception de la menace sécuritaire et existentielle que feraient peser les
Frères sur les monarchies ne fait pas l’unanimité au sein des Émirats du CCEAG,
chacun justifiant sa position par une lecture pragmatique et fonctionnelle des
relations tissées avec le mouvement islamiste. Perception subjective de La peur
des al-Saoud d’Arabie saoudite, des al-Maktoum de Dubaï et des al-Nahyan d’Abu
Dhabi se fonde sur les capacités de mobilisation des mouvements islamistes et
sur leurs intentions hostiles à l’égard des régimes en place. D’une part,
depuis les années 1950, les Frères musulmans ont bâti des réseaux sociaux
informels très denses au sein des administrations publiques (ministères de l’Éducation
et des Affaires religieuses), des organisations non gouvernementales par la
création d’œuvres caritatives et clubs culturels, des associations
professionnelles et estudiantines de la société civile, et des structures que
leur offrent le champ religieux, la mosquée étant bien plus qu’un espace de
pratique de la croyance, elle peut être lue en termes de valeurs, de
significations, de sens et de représentations. D’autre part, ces capacités de
mobilisation des institutions formelles et informelles au sein de l’espace
social se trouvent renforcées et soutenues au Koweït et à Bahreïn par des
organisations politiques (Mouvement islamique constitutionnel (al-haraka
al-islami al-dusturi) et Forum national islamique (al-minbar al-watani al islami)
qui ont pu souvent s’intégrer au jeu institutionnalisé, parfois dans
l’opposition.
LES FRÈRES MUSULMANS ET LES RÉPRESSIONS DES MONARQUES
Pour les monarques du Golfe, la mainmise des islamistes n'est pas seulement un projet politique, mais aussi l'invocation de cadre à référent islamique dans la sphère sociale et culturelle. La compréhension de la lutte
de pouvoir et l’utilisation de répertoires et cadres de références tirés de la
tradition islamique impliquent un processus de « re-travail » des traditions,
de « redéfinition » des normes sociales et de « reconstruction » des signes et
symboles. Depuis les années 1970, les mouvements islamistes se sont appropriés
l’islam à la fois comme idéologie et langage pour cadrer leur action tant dans
la sphère publique que privée, étant contestés par un pouvoir politique dont la
légitimité à se prévaloir de la religion se trouve fragilisée à travers les
institutions officielles de l’islam. Ils construisent leur agenda autour des
questions fondamentales sur le sens de la vie et sur la manière dont la
religion, ses croyances et ses pratiques peuvent offrir une ligne de conduite
pour la vie quotidienne, la moralité, l’économie et la gouvernance. Ces
innovations culturelles naissent autour de l’idée que l’islam est la solution
aux difficultés économiques, morales et politiques de l’Oumma. Ainsi, la
convergence entre les espaces politique, religieux et social, d’un côté, et
entre les institutions formelles et informelles de l’autre, constitue
l’infrastructure islamiste qui soutiendrait, le cas échéant, la mobilisation
pour torpiller les régimes en place. Longtemps accueillis par les pouvoirs en
place dans les années 1950 et 1960, les Frères musulmans sont devenus suspects
à partir des années 1980 au moment où deux grands États de la péninsule,
l’Arabie saoudite et l’Iran, subissent de plein fouet les premiers effets du
renouveau religieux : le voisin de l’Ouest est ébranlé par la prise d’assaut de
la Mecque et celui de l’Est renversé par la révolution islamique. Ces deux événements nourrissent au sein des familles régnantes de la péninsule arabique
une certaine suspicion à l’égard des intentions des mouvements islamistes. La
révolution iranienne abordée à ses débuts par les monarchies comme une question
de politique étrangère devient rapidement une affaire intérieure dès que
Khomeyni affiche ses ambitions d’expansion. Elle ouvre des possibilités
d’avenir aux courants religieux et d’opposition nationaliste qui vont être
amenés à donner des garanties. L’intervention soviétique en Afghanistan en 1979
relance pour un temps l’entente entre Riyad et les Frères musulmans pour
combattre le communisme. Cette convergence d’intérêts communs n’est que
provisoire : les régimes du Golfe préfèrent jouer la carte du courant salafiste
wahhabite, avant tout religieux dont la tradition s’est construite face aux
hérésies, pour les frères musulmans, l’ennemi principal est le pouvoir politique en place, et les courants
wahhabites au sein de l’islam.
LES MONARQUES : ENTRE IMPOSTURE ET
La perception de la menace sécuritaire que représenterait l’organisation des Frères musulmans pour la stabilité de la région et des régimes en place ne fait pas l’unanimité auprès des six monarchies du CCEAG, paralysant l’élaboration d’une politique cohérente au niveau régional, que les Saoudiens souhaiteraient imposer. En effet, chaque État adopte une stratégie différenciée qui se fonde sur deux principaux déterminants : son environnement sociopolitique interne, d’un côté, et son agenda en matière de politique étrangère, de l’autre. Alors que l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unies perçoivent le mouvement des Frères musulmans comme une menace interne et régionale, ont mené une formidable campagne de répression et inscrit l’association sur la liste des organisations terroristes, d’autres le perçoivent comme un allié politique utile ou, du moins, un groupe d’opposition légitime, face à d’autres menaces internes et externes telles que l’expansion de l’influence iranienne et chiite et la montée d’acteurs islamistes sunnites radicaux tels l’État islamique (Daech) et Al-Qaïda. Ainsi, au Bahreïn, où le mouvement est représenté au parlement, les Frères soutiennent le régime des al-Khalifa dans sa lutte contre l’opposition chiite. Au Qatar, l’organisation des Frères s’est auto-dissoute à la fin des années 1990, en accord avec la famille royale. En délaissant l’espace local, l’influence des Frères qataris est mise au profit de leur cause régionale et internationale, et l’émirat apparaît comme le soutien indéfectible du courant − et ce, bien avant les révolutions arabes. Au Koweït, les Frères musulmans possèdent un réseau d’influences extrêmement solide dans le domaine de l’éducation, des organisations professionnelles et estudiantines et des associations de bienfaisance et culturelles. Légalement reconnus, ils se sont intégrés au champ politique et entretiennent un jeu complexe avec le pouvoir qui oscille entre opposition légitime et participation à la formation du gouvernement. À Oman, les Frères musulmans ne disposent ni d’organisation politique ni d’association sociale et culturelle ; leur présence est faible et leur influence marginale, cela tient avant tout au fait que cet émirat est ibadite, courant extrêmement minoritaire au sein de l’islam sunnite. (Voir les autres analyses sur le monde confrérique en islam)
Les Frères musulmans et le Qatar : des relations pragmatiques
Les relations des Frères musulmans avec le Qatar sont complexes. Doha apparaît comme un soutien indéfectible à l’activisme international et régional de la Confrérie, et ce bien avant les révolutions arabes, en échange de l’arrêt de leurs activités sur le plan interne. La chaîne satellitaire Al-Jazzera a longtemps constitué le « porte-parole » de la Confrérie, et le Qatar héberge et fournit une plateforme publique à vocation mondiale à de très grandes figures du mouvement, à commencer par le cheikh Youssef al-Qaradawi. Depuis le printemps arabe, les Frères musulmans constituent un des leviers de l’influence régionale du Qatar, ainsi qu’un des piliers de sa politique étrangère, de plus en plus interventionniste, au moment où les dirigeants qataris semblent avoir pris la décision stratégique de soutenir le mouvement en tant que future force politique en Afrique du Nord et au Levant. L’arrivée au pouvoir des Frères en Tunisie en 2011 et en Égypte en 2012 a sans doute accru la visibilité de ces relations, le Qatar recherchant clairement de nouveaux alliés dans le monde arabe au service de ses nouvelles ambitions affichées de puissance régionale. Petit État de la péninsule arabique, mais très riche, le Qatar connait une instabilité politique interne récurrente nourrie par les dissensions entre les branches cousines de la famille régnante, d’un côté, et au sein du lignage patrilinéaire des bin Jaber, de l’autre. La caractéristique des relations entre les Frères et le Qatar est fondée sur un pragmatisme et non sur un alignement idéologique clair : l’instrumentalisation de l’idéologie islamiste et du mouvement des Frères musulmans sont des éléments à part entière de la stratégie de survie du régime, motivée par les impératifs de sécuriser la domination de la dynastie des al-Thani et de garantir l’indépendance et l’autonomie de son petit pays face au géant Saoudien. Se réclamant du wahhabisme, comme son voisin, le Qatar cherche à sortir de cette situation de vassalité et développe une politique étrangère multidimensionnelle dont les rapports avec les islamistes ne sont qu’une des composantes. Sur le plan de la politique interne, les Frères musulmans, loyalistes au pouvoir, ont été généreusement cooptés par le régime, en contrepartie d’une interdiction d’exercer leurs activités politiques à l’intérieur de l’Émirat. Les Frères musulmans et la naissance de l’État du Qatar Dès les années 1950, le Qatar accueille à bras ouvert un nombre important d’islamistes, fuyant la répression nassérienne, pour participer à la mise en place d’une administration publique naissante. L’Émir Ali ben Abdallah al-Thani se tourne vers l’Égypte pour recruter une main-d’œuvre éduquée, composée d’instituteurs, de cadres et d’imams, et fait appel à Abd al-Badi’ al-Saqr, compagnon de route de Hassan al-Banna et de Youssef al-Qaradawi (détenus tous deux dans les geôles égyptiennes en 1949), pour prendre la tête du Maarif, l’équivalent du ministère de l’Enseignement. Ainsi, al-Saqr s’installe à Doha en 1954 et ses relations privilégiées avec l’émir, dont il deviendra le conseiller à la culture, incitant grand nombre d’instituteurs d’Égypte et d’ailleurs à le soutenir dans son entreprise de modernisation du pays. Ces nouveaux immigrés accèdent très vite aux postes de direction au sein de l’administration publique et font appel, à leur tour, aux Frères étrangers, faisant du ministère de l’Éducation un modèle de référence pour les autres monarchies. Dans les années 1960, une deuxième vague de migration s’établie dans l’Emirat. Parmi eux, se trouve Youssef al-Qaradawi qui se voit confier la tête de l’Institut religieux secondaire avant de fonder la Faculté de la charia et des études islamique à l’université du Qatar. Ce théologien, connu dans le monde musulman s’impose rapidement comme la figure emblématique des Frères étrangers et possède une influence majeure sur la société locale à travers les leçons, les conférences publiques et les séminaires qu’ils animent dans les mosquées et du rôle central qu’ils a joué dans la modernisation des programmes d’enseignement. Le Qatar devient ainsi un espace de refuge pour de nombreux compagnons de al-Banna, tels Muhid al-din al-Khatib, Abd al-Moaz al-Sattar, son émissaire en Palestine en 1946, Ezzedine Ibrahim, figure régionale des Frères, Abdallah Ben Turki al Subai, qui fera personnellement appel à Youssef al-Qardawi, ou encore Kamal Naji . À cette époque, le Qatar devient la plateforme régionale à partir de laquelle les Frères étendent leurs activités, en particulier à destination de Dubaï où ils fondent un « bureau de représentation » en 1962. Placée sous l’autorité du cheikh Abd al-Badih al-Saqr, cette structure d’accueil, mise au service des Frères syriens et palestiniens détachés par les Qataris, leur fournit toute sorte d’aide et d’assistance à l’installation et les pourvoit d’emplois d’enseignants et de fonctionnaires au sein de l’administration émiratie naissante ou de leur école al-Iman (au cursus moderne). Sous la bienveillance des deux familles régnantes, al-Maktoum et al-Nahyan, la présence des Frères vise à affaiblir l’influence contestataire des courants nationalistes arabes et nassériens. Cette stratégie de pénétration des institutions étatiques facilite la diffusion de la prédication des Frères auprès d’une audience plus large et, en 1975, les Frères qataris, en majorité d’origine étrangère, fondent leur organisation dans le but de coordonner leurs activités d’implantation au sein de l’Emirat. À cette période, un conflit interne éclate au sein des Frères autour de la nécessité de créer une structure formelle dans un pays qui accueillait les courants islamistes et où ceux-ci n’étaient pas en conflit avec le pouvoir en place. Ces rivalités avant tout de nature politique se sont construites contre « l’Occident impérialiste » dans sa version bannaiste, que représente le courant de la wasatiyya défendu par le cheikh Youssef al-Qardawi, et contre les « régimes impies » du Moyen -Orient, dans sa version qutbiste. Au cours des années 1980, une étude a été menée en leur sein, dont la première partie, intitulée « La pensée de Hassan al-Banna » défendait la naissance d’un courant modéré, la wasatiyya (modération) qui se revendique davantage de la pensée de Hassan al-Banna que de celle de Sayyid Quotb. Développé au Qatar sous l’égide du cheikh al-Qardawi, ce courant prône l’instauration d’un État islamique tout en préférant « le compromis politique à l’affrontement avec l’Etat ». Le document « La pensée de Hassan al-Banna », diffusé par les Frères qataris en 1991, considère que l’organisation des Frères, sclérosée par la doctrine et par l’absence de vision stratégique, est un héritage de l’expérience égyptienne qui ne saurait être reproduite au Qatar. Cette situation aboutit en 1999 à la dissolution de la branche qatarie du mouvement et à sa transformation en « un courant islamiste général, éducatif et intellectuel, voué à servir le développement éducatif et intellectuel de toute la société ». La majorité des Frères continue à mener ses activités dans l’Emirat hors du cadre de l’organisation sans pour autant abandonner tout discours politique. S’ils renoncèrent à l’usage de la force et à la création d’un parti politique, leur action est toujours motivée par leur volonté d’islamiser la société par le bas. En fait, un compromis a été trouvé avec la famille al Thani : le Qatar leur offrirait refuge et visibilité médiatique internationale tant que leurs activités politiques et leur idéologie ne seraient pas orientées à l’intérieur du pays. Pour éviter tout soupçon et pour rassurer le régime, les Frères ont mis l’accent sur leur activité de prédication et de pédagogie et non sur la transmission d’une certaine idéologie de l’islamisme ou de modèle de mobilisation politique. Les Frères musulmans, opèrent au Qatar en dehors de toute structure partisane, ce qui joua sans doute un rôle dans leur promotion politique. De fait, au cours des années 1980, ils affirment leur influence sur le champ éducatif et culturel Qatari, puis dans les années 1990, sur le champ médiatique et politique étrangère pour pallier les fragilités internes. En fait, la diplomatie hyperactive du Qatar devient ainsi un instrument au service de la politique intérieure dans la mesure où elle est largement utilisée afin de légitimer le pouvoir en place et lui assurer un soutien populaire, ainsi que de justifier les choix politiques de modernisation opérés par la famille régnante. Elle a également replacé le pays au centre du jeu régional et son influence culturelle se diffuse à travers le monde musulman. Le minuscule émirat entend s’imposer comme le nouveau pôle d’attraction islamique du XXIe siècle. Les relations privilégiées entre le pouvoir et les Frères musulmans résument à merveille le paradoxe cultivé par le Qatar : dès les années 1950, l’Émirat a favorisé la montée en puissance des Frères musulmans dont il ne partage pas l’interprétation de l’islam. La Confrérie est un mouvement politique d’avant-garde qui œuvre par un soutien populaire de masse à s’emparer du pouvoir au nom de l’islam, interprété comme une idéologie globalisante et un système social. En revanche, le Qatar reconnait officiellement le wahhabisme et adhère à l’école juridique hanbalite, qui prône l’obéissance politique au souverain, et toute pratique de l’islam autre que cette tradition rigoriste du sunnisme, y est strictement interdite. En d’autres termes, les Frères sont des militants anti-occidentaux qui cherchent finalement à renverser les régimes nationalistes laïcs, et ne sont pas particulièrement favorables aux régimes monarchiques, en particulier ceux qui sont en étroite alliance économique et militaire avec l’Occident. Or, non seulement la sécurité du Qatar est étroitement liée aux États-Unis, mais sa version de l’islam ne tolère aucune forme d’activisme politique sauf à être autorisée et contrôlée par l’Émir. C’est l’une des nombreuses contradictions de la situation politique Qatarienne qui ne semble ne pas pour autant déranger son dirigeant Mahmoud el Ashmawy.
LE PARADIGME ISLAMISTE
Les Etats-Unis, adoptent une stratégie à double volet : d’une part, ils s’attaquent au terrorisme dans le monde arabe, d’autre part, ils mènent une politique de soutien à la démocratisation, considérant que la fermeture du champ politique régional pousse à la radicalisation des populations à majorité musulmans. Pour les conservateurs, cette démocratisation devait s’effectuer y compris à travers l’action militaire et la projection de forces sur des terrains arabo-islamiques, dans le but d’installer des gouvernements non hostiles aux américains. Les démocrates estimaient que cette option devait représenter une aspiration des peuples. Mais les deux visions se fondent sur la même hypothèse : l’ouverture du champ politique des pays de la région conduira inéluctablement à la victoire des islamistes, une analyse qui sera confirmée en 2011 par leurs succès électoraux en Tunisie, au Maroc, en Egypte et en Algérie en 1991. Au lieu de combattre tous les mouvements islamistes, l’idée défendue par les américains vise a coopter les plus modérés d’entre eux, pour éviter une répétition du scénario Iranien et le basculement de cette région dans le terrorisme. Une alliance avec les islamistes Maghrébins est ainsi perçue comme un contrepoids efficace au djihadisme. L’objectif est de garantir la stabilité de cette région à long terme, en la dotant de gouvernements enfin légitimes aux yeux des populations. Au Maroc, l’assurance d’un succès électoral du PJD de 2017 a ainsi amené Washington à soutenir ce parti après les attentats de Casablanca du 16 mai 2003, alors que la classe politique marocaine réclamait sa dissolution. La stratégie de rapprochement avec certains islamistes Algériens, Marocains et Tunisiens a eu aussi pour objectif d’améliorer l’image et la réputation des Etats-Unis auprès de l’opinion arabe, afin de diminuer les risques d’être à nouveau considérés comme ennemis de l’islam. En Algérie, une représentation du national Democratic Institute a été ouverte à Alger en 2003 afin de faciliter les programmes de formation, les rencontres et les consultations avec les acteurs islamistes, les diplomates américains, services secrets, et autres réseaux alternatifs. De manière pragmatique, les américains pensent que, compte tenu de la légitimité populaire des islamistes, ces derniers sont les mieux à même de poursuivre la transition démocratique. En 2013, Robert Ford, ancien ambassadeur des Etats-Unis à Alger, et une délégation du National Democratic Institue ont été les invités officiels du dernier congrès du MSP, qui a vu Adberrazak Mokri élu à sa tête. Anglophone ayant réalisé une partie de son cursus universitaire aux Etats-Unis (1982 à 1985), Mokri avait pour mission d’intensifier les relations avec les Américains pour les mettre au niveau de celles qu’entretiennent ses homologues Marocain et Tunisien. Finalement, considéré comme la fabrication des services Algériens et Américains, le régime actuel a choisi à son tour un représentant (d’Ennahda), un parti très proche de la mouvance Salafiste et aussi du peuple algérien.
Il est fort probable que ce rapprochement se traduise à terme par un rééquilibrage stratégique des pays du Maghreb en direction des Etats-Unis pour faire pendant à une Europe encore prédominante. Conscientes de l’intérêt qu’elles pourraient tirer d’un rapprochement avec les islamistes Maghrébins, certaines chancelleries Occidentales (Allemagne, Suède, Grande-Bretagne, ont déjà imité les américains en la matière en multipliant les contacts avec les islamistes.
Alors que l'Arabie-Saoudite et les Emirats sont critiqués par l'opinion arabe concernant l’exil forcé des frères musulmans en Iran, Téhéran, à travers cet accueil, elle opte pour une ouverture politique envers le monde musulman. Sachant que les deux axes ( sunnites et chiites) resterons les ennemis de toujours. En dépit des relations conflictuelles avec l'Iran, les monarques du Golfe veulent aussi instrumentaliser la question des frères musulmans avec les Mollahs dans les luttes armées à travers le monde. Néanmoins, depuis ca création en 1928, elle reste pour toujours une organisation non violente et progressiste.
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